200 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
bolisme, et aussi les Concourt, le furent presque une dizaine d'années. Cette proportion décroissante est significative. On n'est imité que dans la mesure où les imitateurs se croient originaux en imitant. Voltaire pouvait de bonne foi se croire original en alignant des centons de Racine, penser que, si Racine n'eût pas existé, lui Voltaire eût tout de même écrit ZanCy parce que Racine n'avait fait que découvrir la raison et le beau uniques, comme Colomb avait découvert l'Amérique, et que \'oltaire aurait aussi bien pu les découvrir plus tard, comme un autre navigateur aurait pu trouver la même Amé- rique que Colomb. Telle est la croyance implicite qui donne bonne conscience et vigueur reproductrice à l'imitation. Ajoutons que Racine ayant fait mieux qu'Euripide en imitant Euripide, Voltaire pouvait candidement s'imaginer qu'à son tour il ferait mieux que Racine en imitant Racine (oubliant que le mot imitation était une étiquette qui recouvrait dans les deux cas deux réalités fort différentes). Tout cela nous place exac- tement à l'antipode de Mallarmé. Certes Mallarmé avait com- . mencé par imiter Baudelaire (Rollinat l'appelait méchamment un Baudelaire en morceaux qui n'a jamais pu se recoller). Mais il était allé bien vite vers une paradoxale originalité, une peur maladive du cliché et du lieu commun, s'était créé, moitié de son propre fonds, et moitié par volonté ou par point d'honneur, une manière, la plus individuelle possible, de s'exprimer. Il excluait dès lors, au même titre qu'une imitation dont il eût été l'auteur, une imitation dont il fût devenu l'objet. Et (sauf par naïveté ou par jeu) ni ses vers ni sa prose ne furent vraiment imités.
Comment pouvons-nous dès lors parler de son influence, et que pourrait être cette influence ? Voici. Je ne crois pas écrire de paradoxe en disant que le petit et frêle recueil des poésies de Mallarmé est cher bien moins, et avec moins de raison, aux amoureux de la poésie de Mallarmé qu'il ne l'est aux amoureux de la poésie française. C'est Racine que nous aimons d'abord en Racine, Hugo en Hugo. Mais si nous ne cherchions dans Mallarmé qu'à aimer Mallarmé, nos raisons seraient un peu frôles. Nous n'éprouvons pas ici le contact avec un grand cou- rant de sensibilité, d'intelligence, d'humanité. Mais nous éprou- vons le contact avec la poésie française, à son extrémité la
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