Page:NRF 18.djvu/190

Cette page n’a pas encore été corrigée

184 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

paraît long... Les bêtes nous font honte, à nous autres femmes qui ne savons plus enfanter joyeusement. Mais je n'ai jamais regretté ma peine : on dit que les enfants, portés comme toi si haut, et lents à descendre vers la lumière, sont toujours des enfants très chéris, parce qu'ils ont voulu se loger tout près du cœur de leur mère, et ne la quitter qu'à regret...

En vain je voulais que les doux mots de l'exorcisme, rassemblés à la hâte, chantassent à mes oreilles : un bour- donnement argentin m'assourdissait. D'autres mots, sous mes yeux, peignaient la chair écartelée, l'excrément, le sang souillé... Je réussis à lever la tête, et vis qu'un jardin bleuâtre, des murs couleur de fumée vacillaient étrange- ment sous un ciel devenu jaune... Le gazon me reçut, étendue et molle comme un de ces petits lièvres que les braconniers apportaient, frais tués, dans la cuisine.

Quand je repris conscience, le ciel avait recouvré son azur, et je respirais, le nez frotté d'eau de Cologne, aux pieds de ma mère.

— Tu vas mieux, Minet-Chéri ?

— Oui... je ne sais pas ce que j'ai eu...

Les yeux gris, par degrés rassurés, s'attachaient aux miens.

— Je le sais, moi... Un bon petit coup de doigt-de-Dieu sur la tête, bien appliqué...

Je restais pâle et chagrine, et ma mère se trompa :

— Laisse donc, laisse donc... Ce n'est pas si terrible, va, c'est loin d'être si terrible, l'arrivée d'un enfant. Et c'est beaucoup plus beau dans la réalité. La peine qu'on y prend s'oublie si vite, tu verras !... La preuve que toutes les femmes l'oublient, c'est qu'il n'y a jamais que les hommes — est-ce que ça le regardait, voyons, ce Zola ? — qui en font des histoires...

COLETTE

�� �