MA MÈRE ET LES LIVRES
��La lampe, par l'ouverture supérieure de l'abat-jour, éclairait une paroi cannelée de dos de livres, reliés. Le mur opposé était jaune, du jaune sale des dos de livres brochés, lus, relus, haillonneux. Quelques « traduits de l'anglais y), — un franc vingt-cinq — rehaussaient de rouge le rayon du bas.
A mi-hauteur, Musset, Voltaire, et les Quatre Evangiles brillaient sous la basane feuille-morte. Littré, Larousse et Becquerel bombaient des dos de tortues noires. D'Orbi- gny, déchiqueté par le culte irrévérencieux de quatre enfants, effeuillait ses pages blasonnées de dalhias, de per- roquets, de méduses à chevelures roses et d'ornithoryn- ques.
Camille Flammarion, bleu, étoile d'or, contenait les pla- nètes jaunes, les cratères froids et crayeux de la lune, Saturne qui roule, perle irisée, libre dans son anneau...
Deux solides volets couleur de glèbe reliaient Elisée Reclus. Musset, Voltaire, jaspés, Balzac noir et Shakes^ peare olive...
Je n'ai qu'à fermer les yeux pour revoir, après tant d'années, cette pièce maçonnée de livres. Autrefois, je les distinguais aussi dans le noir. Je ne prenais pas de lampe pour choisir l'un d'eux, le soir, il me suffisait de pianoter le long des rayons. Détruits, perdus et volés, je les dénom- bre encore. Presque tous m'avaient vue naître.
Il y eut un temps où, avant de savoir lire, je me logeais en boule entre deux tomes du Larousse comme un chien
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