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maintiennent malgré tout leurs aspirations en faisceau ; il porterait le trouble et l’incoordination dans la série de leurs sentiments.

En tous cas il s’intéresse avant tout à leurs abîmes et c’est à suggérer ceux-ci le plus insondables possible qu’il met tous ses soins. À mesure qu’il insuffle à son personnage la vie romanesque (et c’est le moyen qu’il choisit de lui insuffler cette vie), il se préoccupe de faire apparaître l’insuffisance des raisons par lesquelles on serait tenté d’expliquer ses déterminations ; il place celles-ci à chaque fois en rapport avec un x qui est le seul fond qu’il consente à donner à cette âme. Et cet x, loin d’en poursuivre la définition, il nous retire sans cesse les moyens que nous croyons apercevoir de le faire entrer en équation avec des valeurs connues.

Nous, au contraire, placés en face de la complexité d’une âme, à mesure que nous cherchons à la représenter, d’instinct nous cherchons à l’organiser. Notre description même est un effort d’intégration. Quelque chose en nous, que nous ne sommes pas maîtres d’empêcher, aussitôt se déclenche qui nous montre les attaches intérieures du modèle, la solidarité de ses aspects. Au besoin nous donnons un coup de pouce : nous supprimons quelques petits traits divergents, nous interprétons quelques détails obscurs dans le sens le plus favorable à la constitution d’une unité psychologique.

Nous répugnons toujours, en traçant le portrait d’un personnage, à y rien laisser d’indéfini : « Il y avait du je ne sais quoi dans tout Monsieur de la Rochefoucauld », écrit le cardinal de Retz. — Oui, mais justement il l’exprime pour que le lecteur n’ait pas à l’y sentir.

Jamais rien, dans le personnage suscité, ne reste béant par où des inspirations imprévues pourraient lui venir. Quand nous le faisons parler, jamais rien ne résonne inexplicablement, jamais rien ne fait entendre un son différent pour l’esprit et pour l’imagination.