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172 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

ce supplice d'enfer. Ayant pris tant d'argent au Messager Russe (14.500), j'espérais depuis le commencement de l'année que la poésie ne me délaisserait pas, que l'idée poétique m'apparaîtrait et se développerait vers la fin de 70 et que j'aurais le temps de contenter tout le monde. Cela me paraissait d'autant plus pro- bable, que nombre d'idées germaient dans ma tète et dans mon âme ou s'y faisaient pressentir. Mais elles ne faisaient que pas- ser rapidement ; or, ce qu'il fallait, c'était les incarner complé- ment ; mais cette incarnation se produit toujours brusquement, quand on ne s'y attend pas ; impossible d'}' compter. Ce n'est qu'après que le cœur a reçu l'image complète qu'on peut passer à la réalisation et calculer sans crainte d'erreur.

J'ai commencé alors à me torturer l'esprit pour inventer un nouveau roman. Je ne voulais pour rien au monde continuer les anciens. Je ne pouvais pas. J'ai réfléchi du 4 au 18 décembre inclus, vieux style. En moyenne je trouvais bien six plans par jour, j'imagine (pas moins). Ma tête est devenue un moulin. Je ne comprends pas comment je ne suis pas devenu fou. Enfin, le 18 décembre je me suis mis à écrire un nouveau roman. Le 5 janvier (n. st.) j'ai expédié à la rédaction les cinq chapitres de la première partie.

En somme, je ne sais pas moi-même ce que j'ai envoyé. Mais pour autant que je peux me faire une opinion, la chose ne paie pas de mine et ne produit pas d'effet. Il y a longtemps déjà qu'une idée me persécutait, mais je crai- gnais d'en faire un roman, parce que cette idée est trop difficile à réaliser et que je n'y suis pas préparé, bien qu'elle soit extrê- mement tentante et que je l'aime. Il s'agit de représenter un homme parfaitement bon. Il ne peut y avoir rien de plus diffi- cile, à mon avis, surtout à notre époque. Vous serez certaine- ment d'accord avec moi. Cette idée m'était déjà apparue sous une certaine forme, qui n'en reflétait pourtant qu'un aspect par- ticulier, or, il faut en donner une image complète. Seule, ma situation désespérée pouvait m'obliger à reprendre ce projet, insuffisamment mûri. J'ai risqué à la roulette ; « peut-être que cela se développera sous la plume ». C'est impardonnable.

Les grandes lignes du plan sont déjà arrêtées. J'entrevois dans la suite des détails qui me tentent beaucoup et soutiennent mon ardeur. Mais le tout ! Mais le héros ! Car le tout chez moi

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