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Pendant tout notre voyage des villages entiers accouraient pour nous voir et, malgré nos fers, on nous faisait payer triple dans les stations. Mais Kousma Prokolyitch prenait à son compte près de la moitié de nos dépenses : il l’exigea ; de sorte que nous ..... ne dépensâmes que quinze roubles d’argent chacun.

Le 11 janvier 1850, nous arrivâmes à Tobolsk. Après nous avoir présentés aux autorités on nous fouilla, on nous prit tout notre argent, et on nous mit, moi, Doura et Yastrjembsky dans un compartiment à part, tandis que Spieschner et ses amis[1] en occupaient un autre : nous ne nous sommes ainsi presque pas vus.

Je voudrais te parler en détail des six jours que nous passâmes à Tobolsk et de l’impression que j’en ai gardé. Mais ce n’est pas le moment. Je puis seulement te dire que nous avons été entourés de tant de sympathie, de tant de compassion que nous nous sentions heureux. Les anciens déportés[2] (ou du moins, non pas eux mais leurs femmes) s’intéressaient à nous comme à des parents. Âmes merveilleuses que vingt-cinq ans de malheur ont éprouvées sans les aigrir ! D’ailleurs nous n’avons pu que les entrevoir car on nous surveillait très sévèrement. Elles nous envoyaient des vivres et des vêtements. Elles nous consolaient, nous encourageaient. Moi qui suis parti sans rien, sans même emporter les vêtements nécessaires, j’avais eu le loisir de m’en repentir le long de la route............................................ Aussi ai-je bien accueilli les couvertures qu’elles nous ont procurées.

Enfin nous partîmes.

Trois jours après nous arrivions à Omsk.

Déjà à Tobolsk j’avais appris quels devaient être nos chefs immédiats. Le commandant était un homme très honnête. Mais le major de place de Krivtsov était un gredin comme il y en a peu, barbare, maniaque, querelleur, ivrogne, en un mot tout ce qu’on peut imaginer de plus vil.

Le jour même de notre arrivée, il nous traita de sots Dourov et moi, à cause des motifs de notre condamnation, et jura qu’à

  1. Autres condamnés politiques de la même conspiration.
  2. Les Décembristes. Conspiration du 14 décembre 1825, contre Nicolas Ier.