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DEUX LETTRES DE DOSTOÏEVSKY


La première des deux lettres que l’on va lire a paru dans les numéros 12 et 13, aujourd’hui introuvables, de la Vogue (1886) ; elle ne figure pas dans le volume de Correspondance qu’a publié la librairie du Mercure de France. Adressée à Mikhaïl Dostoïevsky, frère aîné de Théodor, elle fut écrite par celui-ci à l’époque de sa libération, peu de temps après la publication des Souvenirs de la Maison des Morts.

La seconde lettre était inédite en russe jusqu’à ces derniers temps. C’est le journal bolchéviste de Riga Novi Put qui l’a révélée. Le présent numéro était déjà sous presse quand le Mercure de France en a publié une traduction par M. Bienstock.


Le 22 février 1854.

Je puis enfin causer avec toi plus longuement, plus sûrement aussi, il me semble. Mais avant tout laisse-moi te demander, au nom de Dieu, pourquoi tu ne m’as pas encore écrit une seule ligne. Je n’aurais jamais cru cela ! Combien de fois, dans ma prison, dans ma solitude, ai-je senti venir le véritable désespoir en pensant que, peut-être, tu n’existais plus : et je réfléchissais durant des nuits entières au sort de tes enfants, et je maudissais la destinée qui ne me permettait pas de leur venir en aide.

D’autres fois je me persuadais que tu vivais encore, mais alors la colère me prenait (surtout à mes heures — si fréquentes ! — de maladie), et je t’accablais d’amers reproches. Mais bientôt je t’excusais ; je te justifiais de mille manières et