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pas ici la souffrance ou le bien-être, mais je suis pour mon caprice et pour qu’il me soit garanti, quand il le faut. Dans les vaudevilles, par exemple, les souffrances ne sont pas admises, je le sais. On ne peut les admettre dans un palais de cristal : la souffrance est un doute, une négation, mais qu’est-ce qu’un palais de cristal dont on peut douter. Or je suis sûr que l’homme ne renoncera jamais à la vraie souffrance, c’est-à-dire à la destruction et au chaos. »

En face de cette argumentation, les preuves les plus subtiles élaborées au cours de milliers d’années par les théories de la connaissance doivent s’évanouir. Ce n’est plus la loi, ce n’est plus le principe qui exigent et obtiennent des garanties, c’est le caprice, le caprice qui, par sa nature même, comme tout le monde le sait, ne peut prétendre ni à octroyer ni à recevoir des garanties quelconques. Nier cela c’est nier l’évidence, mais c’est justement contre les évidences, comme je l’ai déjà dit, que lutte Dostoïevsky. Nos évidences ne sont que des suggestions, de même que notre vie, il le répète tout le temps, n’est pas la vie, mais la mort. Et si vous voulez comprendre Dostoïevsky, vous devez toujours vous souvenir de sa « thèse fondamentale » : deux fois deux quatre est un principe de mort. Il faut choisir : ou bien renversons le « deux fois deux quatre » ou bien admettons que la mort est le dernier mot de la vie, son tribunal suprême.

C’est là la source de la haine de Dostoïevsky contre le bien-être, l’équilibre, la satisfaction et c’est de là que découle son paradoxe fantastique : l’homme aime la souffrance.

En lisant aujourd’hui Dostoïevsky nous ne savons pas au juste si nous avons le droit de protester contre l’impudence du « deux fois deux quatre » ou bien si nous devons, comme par le passé, courber l’échine devant lui. Dostoïevsky aussi ne savait pas s’il avait terrassé son ennemi ou s’il était retombé sou