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sible. Mais le principal est que cette ignorance apparaît brusquement non comme une malédiction, mais comme un don du ciel...

« Oh, dites-moi, qui est-ce qui a déclaré le premier, qui est-ce qui a proclamé le premier que l’homme, si on l’éclairait, si on lui ouvrait les yeux sur ses véritables intérêts, sur ses intérêts normaux, deviendrait immédiatement bon et honnête, car étant éclairé par la science et comprenant ses véritables intérêts, il verrait justement dans le bien son propre avantage ; or, il est entendu que personne ne peut agir sciemment contre son intérêt ; l’homme ainsi serait donc obligé nécessairement de faire le bien ? O enfant ! Enfant pur et naïf !... L’intérêt’ ! Qu’est-ce que l’intérêt ? Que direz-vous s’il arrive un jour que l’intérêt humain non seulement puisse consister, mais doive même consister en certain cas à se souhaiter non du bien, mais du mal ? S’il en est ainsi, si ce cas peut se présenter, la règle tombe en poussière. »

Qu’est ce qui attire Dostoïevsky ? Le « peut-être », l’inattendu, le subit, les ténèbres, le caprice, cela justement qui, au point de vue du bon sens et de la science, n’existe pas ou n’existe que négativement. Dostoïevsky sait très bien ce que tout le monde pense, il sait aussi, bien qu’il n’ait pas connu les doctrines des philosophes, que depuis les temps déjà anciens le crime le plus grand a toujours été de manquer de respect aux règles. Mais un soupçon horrible pénètre dans son âme : ne se peut-il pas qu’en cela justement les hommes se soient toujours trompés ?

Si jamais la Critique de la Raison Pure fut écrite, il faut la chercher chez Dostoïevsky, dans la Voix souterraine et dans les grands romans qui en sont issus. Ce que nous a donné Kant, ce n’est pas la critique, c’est l’apologie de la raison pure : comment Kant a-t-il posé la question ? La science mathématique existe, les sciences naturelles existent ; y a-t-il place pour une science métaphysique dont la structure logique serait identique à celle des sciences positives