que l’intelligent — ne nous parle pas en réalité de lui-même, mais de ce qui peut être nécessaire et utile à tous. Sa santé consiste justement en cela qu’il émet des jugements bons pour tous, et ne voit même que ce qui est bon pour tous et dans tous les cas. Mais les cyniques ont passé sans laisser de traces dans l’histoire. Ce qui caractérise justement l’histoire, c’est qu’avec un art admirable, presque humain, conscient, elle efface les traces de tout ce qui survient d’étrange dans le monde, d’extraordinaire. L’objet principal de la science de l’histoire, telle qu’on la comprend toujours, est de rétablir le passé sous l’aspect d’une série d’événements reliés entre eux par la causalité. Pour les historiens, Socrate n’était et ne devait être qu’un « homme en général ». Ce qu’il y avait en lui de spécifiquement « socratique » « n’avait pas d’avenir » et n’existait donc pas aux yeux de l’historien. L’historien n’accorde une certaine signification qu’à ce qui est entré dans le cours du temps et le nourrit ; le reste ne le concerne pas. Ce qui est important, c’est Socrate « homme d’action », celui qui a laissé des traces de son existence dans le torrent de la vie sociale. Aujourd’hui encore nous avons besoin des « pensées » de Socrate. Nous avons besoin de certaines de ses actions qui peuvent servir d’exemple, de sa fermeté, de son calme en face de la mort. Mais quant à Socrate lui-même, quelqu’un en a-t-il besoin ? C’est justement parce qu’il n’était nécessaire à personne qu’il a disparu sans laisser de traces. S’il avait été nécessaire, il y aurait eu une « loi » pour le conserver.
IV
Dostoïevsky voyait aussi la vie avec des yeux d’historien, des yeux naturels. Mais quand on lui donna une seconde paire d’yeux, il vit autre chose. Le « souterrain », ce n’est pas du tout cette niche misérable où Dostoïevsky