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quand il le fallait, mais cette folie qu’on traite dans les cabanons. Alors, c’est la lutte entre les deux visions, lutte dont l’issue est aussi problématique et aussi mystérieuse que les débuts.

Dostoïevsky fut certainement un de ceux qui possédèrent cette double vue. Mais quand donc fut-il visité par l’Ange de la mort ? Le plus naturel serait de supposer que ce fut lorsqu’il écoutait au pied de l’échafaud la lecture de son arrêt de mort. Il est probable pourtant que les suppositions « naturelles » ne sont plus de mise ici. Nous pénétrons dans le domaine de l’antinaturel, du fantastique par excellence et si nous voulons y entrevoir quelque chose, il nous faut renoncer à toutes les méthodes, à tous les procédés qui donnaient jusqu’ici à nos vérités et à notre connaissance une certitude garantie. On exigera peut-être de nous un sacrifice plus important encore. Il faudra peut-être que nous soyons prêts à admettre que la certitude n’est nullement le prédicat de la vérité ou, pour mieux dire, que la certitude n’a absolument rien de commun avec la vérité. Il se peut que tout le charme, toute l’attirance de ces vérités consistent justement en ce qu’elles nous délivrent de la certitude, en ce qu’elles nous font espérer vaincre ce qu’on appelle les évidences.

Ce n’est donc pas lorsqu’il attendait l’exécution de l’arrêt que Dostoïevsky fut visité par l’Ange de la mort. Et ce n’est pas non plus lorsqu’il vivait au bagne. Les Souvenirs de la Maison des Morts, une des meilleures œuvres de Dostoïevsky, en font foi. L’auteur des Souvenirs est encore plein d’espoirs. Il souffre, il souffre terriblement, mais il se souvient toujours qu’en dehors des murs de cette prison, il y a encore une autre vie. Le coin de ciel bleu qu’il entrevoit par dessus les hautes murailles lui est une promesse de liberté. Un temps viendra, et la prison, les visages marqués, les jurons ignobles, les coups, les gardiens, la saleté, les chaînes — tout cela passera et une nouvelle existence commencera, noble, élevée. « Je