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NOTES I 1 7

Turnbull, les deux derniers hommes sur terre, ou tout au moins dans le Royaume-Uni que le Seigneur — qui vomit les tièdes — ait à juste titre épargnés ; car seuls ils sont capables, de donner leur vie pour leurs convictions intimes, l'un pour son athéisme scientifique — et pour la Sphère, l'autre pour la Très Sainte Vierge que le premier a outragée — et pour la Croix. Comment le romancier réussit à nous attacher à leurs pas, en dosant les agréments dont son art multiple dispose, art de conteur, de paysagiste, d'ironiste, de poète et d'apologiste, je n'ai pas à le démontrer. Le fait est qu'on le suit et qu'on a plai- sir à le suivre.

Mais le tout ne fait pas un tout, je veux dire une œuvre d'art, au sens où on l'entend chez nous. Progression à peine mar- quée, digressions inattendues, épisodes arbitraires qui pourraient être plus nombreux — et moins aussi, sans grand dommage ici ou là. De quoi on sent que l'auteur ne se soucie guère, appliquant en somme sa théorie sur la liberté de l'artiste qui, contraire- ment au savant (voir Orthodoxy^ peut à son gré faire mourir ou revivre ses personnages, ressusciter Juliette, marier la nourrice avec Roméo, en dépit de toute logique, de toute attente, de toute préparation. Sans doute la composition n'est-elle pas pour un anglo-saxon ce qu'elle est pour un français ; je ne suis pas bien sûr que les Voyages de Gulliver soient beaucoup mieux composés que la Sphère et la Croix. (Mais, même chez nous, le Pantagruel?^ La vérité, c'est que nous sommes en présence d'une forme d'art qui échappe aux formes de l'art, qui a la prétention d'être tout ensemble un pamphlet, un roman, un poème, un discours. Dans son livre sur Chesterton, si riche en citations judicieusement choisies, le R. P. de Tonquédec traduit pour nous un passage significatif tiré d'Hereiics.

Personne n'est assez sage, lisons-nous, pour devenir un grand artiste, sans l'être assez pour désirer être philosophe. Personne n'est assez énergique pour réussir dans l'art, sans l'être assez pour désirer dépasser l'art. U)i grand artiste ne se contente de rien, si ce n'est du tout. On peut exprimer cela si l'on veut, en disant que pour trouver de la Doctrine, il faut s'adresser aux grands artistes. Mais la psychologie du sujet nous apprend que ce n'est pas ainsi qu'il faut poser la thèse. La thèse vraie, c'est que pour trouver un art tant soit peu vivant et hardi, nous devons nous adresser aux doctrinaires.

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