Page:NRF 18.djvu/104

Cette page n’a pas encore été corrigée

98 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

sujet duquel M. Paul Valéry a écrit quelque trente pages d'une prose délicieuse, parfaitement digne des beaux vers qui vien- nent ensuite. Avant d'aborder le commentaire d'Adonis, l'au- teur du Cimetière marin déiinit la condition du véritable poète, laquelle ne saurait être l'état de rêve.

« Je n'y vois, écrit-il, que recherches volontaires, assouplissement des pensées, consentement de l'âme à des gênes exquises, et le triomphe perpétuel du sacrifice. Celui qui veut écrire son rêve doit être infini- ment éveillé Qui dit exactitude et style, invoque le contraire du

songe ; et qui les rencontre dans un ouvrage doit supposer dans son auteur toute la peine et tout le temps qu'il lui fallut pour s'opposer à la dissipation permanente des pensées. »

Cette juste remarque n'est pas seulement le résultat d'une spé- culation critique : elle est encore le fruit de l'expérience de M. Paul Valéry, dont l'œuvre tout entière est une longue méditation, poursuivie tantôt dans la sérénité, tantôt dans l'an- goisse, de ce qu'Edgar Poe appelait la genèse du poème. Sentir n'est rien, pour l'artiste, sans la mémoire ; et le don poétique est une spécialisation de la mémoire. « S'opposer à la dissipa- tion des pensées.... dit M. Valéry, ...changer ce qui passe en ce qui subsiste », et Montaigne : « Le travail est à l'accouchement et non à la création. » C'est une vue de simple bon sens, et Saint-Marc Girardin, qui se faisait gloire de cette humble vertu intellectuelle pour laquelle les romantiques affichèrent un dédain profond, a fort bien marqué « l'intervalle inconcevable », comme dit M. Valéry, qui sépare la conception de l'expression :

« Quand l'auteur est face à face avec son idée encore pure et vierge, c'est alors vraiment qu'il jouit du commerce des dieux ; il n'a eu encore ni les embarras ni les gênes de l'expression... L'idée n'est pour lui qu'une inspiration et qu'une émotion intime. Mais bientôt il veut mettre au dehors ce qu'il a au dedans de lui-même ; il veut faire sortir de son front cette minerve conçue dans son cerveau... Alors commence la lutte contre le style et contre les mots. Il veut exprimer son émotion telle qu'elle est ; il ne le peut. Ce qui était si pur et si beau comme inspiration encore indistincte et confuse, d'abord s'obscurcit comme pensée, puis enfin, comme phrase, s'évanouit. Il avait du génie au fond du cerveau ; sur le papier, il n'est plus qu'un sot...

... Ainsi, par cette disproportion entre la pensée et le terme, entre l'image qui brille, vraie et pure, dans le cerveau, et l'image terne et

�� �