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94 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

traîne après soi en un seul bloc tout son régiment, le rassemble en masse aux endroits les plus propres à attirer les obus (une ferme occupée par des batteries françaises en action, un parc de château, etc.). Et la manière dont les compagnies marchent au combat a de quoi scandaliser le plus jeunet des petits aspirants de 1918. Et l'entassement des effectifs dans les tranchées à rai- son d'un homme par cinquante centimètres courant ! Et le mépris de toutes les règles du service de sûreté en station qui prescrivait une ligne de surveillance nettement différenciée de la ligne de résistance !

Je ne crois pas qu'un seul vétéran de l'armée Maunouryetde l'armée Franchet d'Espérey, qui bordaient l'Aisne en sep- tembre 14, puisse lire les pages de Clermont sans revivre tous ses accablements et toutes ses colères d'alors devant les bouche- ries inutiles qui se succédaient.

Le Passage de l'Aisne a un autre intérêt, intérêt de premier ordre pour l'historien qui fut en son temps soldat. C'est, à ma connaissance, le seul récit organique, cohérent et complet d'un combat de 1914. I! est l'œuvre d'un universitaire rompu aux. disciplines de l'histoire, d'un romancier et d'un psychologue de- grande classe, et enfin d'un acteur. Ce récit est-il vraiment com- plet, est-il seulement exact ? Aucun combattant sincère ne l'ad- mettra. Cet échec d'un Clermont a une importance énorme, car il semble bien qu'on puisse en conclure l'impossibilité d'écrire des récits de batailles. On analyse, on étudie un combat, on ne le raconte pas.

Emile Clermont a, pour composer son récit, apparemment utilisé plusieurs sources très différentes : d'abord sa mémoire et son carnet de route ; en second lieu, le carnet d'ordres reçus et donnés par son chef de corps, le journal de marche du régiment, les situations-rapports, peut-être quelques comptes-rendus de chefs de bataillon, de compagnie ou de section, des motifs de citation ; en troisième et dernier lieu, les témoignages oraux et peut-être écrits de soldats et d'officiers ayant pris part aux combats. Il avait donc puisé à toutes les meilleures sources et aux seules directes. Et cependant son récit n'est pas véridique.

C'est que le combat est un agglomérat d'infiniment petits, qu'on reste impuissant à dénombrer. La mort d'un agent de liaison suffit à entraîner un désastre ou une victoire. Clermont

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