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REFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 9I

pris de trouver urne traduction suédoise des Copains, et, en Suisse, chez les étudiants « bellétriens » îe livre de M. Romains ■jouit d'une popularité analogue à celle du père Ubu dans nos carrés d'officiers de marine.

C'est ainsi que nul n'a mis en lumière mieux que AI. Romains ce qu'il y a d'énergie créatrice dans une belle, large et lyrique mystification. Non seulement la mystification crée et détruit des hommes et des groupes humains, mais elle crée et détruit le m}'stificateur, EUe le conduit à cette belle ivresse sur laquelle se terminent les Copains. Et la roche Tarpéienne est près de ce Capitole. Quand Baudelaire arriva à Bruxelles, il commença par mystifier les Belges en propageant le bruit qu'il avait des mœurs spéciales et qu'il appartenait à la police. Il était beau de se créer ainsi un être dans l'imagination bruxelloise. Mais les Belges, l'ayant cru de bonne foi, le mésestimèrent et désertèrent ses conférences. Et cette candeur brabançonne, après avoir fait le . succès trop complet de sa mystification, devint, tournée par lui en stupidité, le motif de ses épigrammes et de ses invectives : il se fâcha d'être pris à son piège.

Personne n'eut l'imagination mystificatrice plus riche que Guillaume Apollinaire. L'Hérésiarque pourrait presque prendre place sur le même rayon que les Copains, et Apollinaire inventa le douanier Rousseau à peu près comme M. Romains créa le prince des pensevu-s, Pierre Brisset. Mais V Hérésiarque préfigurait tellement le vol de la Joconde qu'Apollinaire (d'autres circons- tances encore aidant) en fiit soupçonné au point de faire plusieurs jours de prison, et que, jusqu'au retour de la toile au Louvre, il fut admis dans une partie du monde littéraire qu'il l'avait vraiment enlevée. De tels précédents augmentent les difficultés qu'éprouve aujourd'hui M. Romains à faire concur- rence à l'évêque Berkeley pour une théorie nouvelle de la vision. Espérons qu'il arrivera tout de même à fonder, malgré les ennemis de Le Trouhadec, son Donogoo Tonga. 11 est vrai qu'il lui reste un second hémisphère à découvrir, le veux dire qu'il lui reste à mystifier, en découvrant un vrai Donogoo Tonga, les esprits simplistes qui croient que la mystification l'explique tout entier.

Y arrivera-t-il par la science, la poésie ou le ronian ? Je suis incompétent sur le premier chapitre, et, pour ce qui est des

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