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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 89

M. Romains n'est évidemment pas le premier artiste qui s'ef- force de porter sur une âme collective l'intérêt qui s'attache d'ordinaire à une âme individuelle. Animer comme un seul être une foule, une cité, une nation, une armée, une escouade, cela est passé depuis longtemps dans la pratique courante de la poésie, du roman et du théâtre. L'originalité de M. Romains consiste à avoir cultivé ce procédé de la façon la plus réfléchie, à ne jamais présenter ses groupes comme des êtres spontanés et vagues à la Zola, mais comme des constructions laborieuses, précises, solides, géométriques. Comme M. Giraudoux nous rend en littérature certaines manières de l'impressionnisme, ainsi ou plutôt au contraire M. Romains ressemble aux constructeurs de volumes issus de Cézanne. L'unanimisme, qui a d'ailleurs été poussé moins loin que la peinture correspondante dans la voie logique, bâtit comme le cubisme du concret avec de l'abstrait. Il élimine l'individuel comme le cubisme élimine les courbes vivantes. Il construit des êtres en dehors des conditions de la vie personnelle, et, sans réussir absolument, il n'y échoue pas. Des constructions de groupes purs, comme Un Etre en Marche et CromeJeyre-le-Vieil, sont des réalités originales et fortes, nous laissent une impression non peut-être de génie, mais bien d'in- telligence, de volonté et de puissance.

Ou plutôt, en prenant le mot dans son sens le plus laudatif, une impression d'artifice. Il est probable qu'on verra un jour tout un art, peinture et littérature, se créer autour des ma- chines, et qu'on tentera d'élever, après l'homme et le paysage, le moteur et la turbine à la dignité esthétique. La place de la nature morte dans la peinture la plus novatrice annonce peut-être des voies qui iront loin. Quoiqu'il en soit, ces êtres techniques seront à peine moins inhumains que les êtres collectifs de M. Romains. Celui-ci s'est efforcé de tourner cette difficulté, et, lorsqu'il a voulu faire une œuvre vivante, il a toujours recouru au même moyen : se placer à la naissance même de l'être una- nime, inviter, forcer le lecteur à le créer avec lui.

C'est ainsi qu'il a procédé dans sa curieuse Mort de quelqu'un, où un homme, ayant cessé de vivre de sa vie individuelle, mène encore quelque temps une vie réelle dans le groupe d'hommes dont il faisait et fait encore partie. Le sentiment de la gloire est lié dans l'humanité à cette existence posthume, dont

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