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74 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

L'enfant courait à lui et l'embrassait. Douce chair tiède, douce chair ennemie ! Puis il passait aux mains de sa tante et de son oncle, et, quelques minutes, ce furent tant de félicitations, de souhaits, de sourires, que son chagrin s'y perdit.

Puis on se promena. M. Saintour et son beau-frère (M. Marquis avait épousé la sœur de madame Saintour), prirent la tête. L'un parlant affaires, l'autre administration, tous deux s'entendaient fort bien. Mieux encore à mi-voix, parce qu'ils parlaient femmes. Maigre et brun, vif, sans barbe, M. Marquis portait un lorgnon d'écaillé sur deux yeux gris tranquilles. Il commerçait dans les denrées colo- niales.

Victor suivit avec sa tante. Elle était plus jeune que sa mère, elle s'amusait avec lui à la poupée autrefois. Menue, une figure fine, deux prunelles pâles, il la chérissait davan- tage depuis son mariage, trouvant, sans s'expliquer pour- quoi, qu'année par année elle commençait à ressembler, tant elle devenait douce, humble, et comme lasse, à sa sœur Marceline.

Quant à Lucienne, qu'on appelait par câlinerie Marquise, il avait pour elle cette affection obscure,- attentive, qu'un jeune homme, qu'une jeune fille, ont pour les tout petits enfants, jouets vivants, souvenirs et promesses, profonde force de la chair innocente.

Ah, pourtant, qu'il avait de peine à les aimer ce soir !... Toute sa douleur, fomentée à nouveau par la maladresse de M. Saintour, s'était remise à bouillonner en lui : et la jalousie, la honte, l'humiliation d'avoir subi le mensonge lui faisaient une âme colère, ivre d'aventure, et qui pouvait à peine se contenir dans le silence.

Il allait, sa main tremblant un peu dans la menotte de Lucienne. Sa tante, qui l'épiait de côté, s'étonnait de ces lèvres sans rire, de ces yeux inquiets et troubles, de cette pâleur. Un moment elle se laissa distraire par le soir. Le globe était tombé entre les maisons, l'aurore ne palpitait

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