Page:NRF 17.djvu/764

Cette page n’a pas encore été corrigée

758 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

fadeur du roman paysan ou la sensiblerie humanitaire.

La grandeur et la décadence de Tuvache, paysan borné et résigné, bouffon, puis héros, puis victime de son village, ont le caractère inéluctable d'un phénomène naturel. Les joies et les peines se succèdent en Tuvache comme les bonnes et les mau- vaises récoltes sur un champ. Et s'il me fallait chicaner M. Mar- tin sur son héros, ce ne serait pas, comme on l'a fait, à cause des péripéties dramatiques accumulées vers la fin du récit, mais à cause de son dénouement. Un Tuvache, même ivre, ne se suicide pas. Il doit mourir d'accident au terme de son existence accidentelle. Rappelons-nous le Caûet de Michel Yell, frère aîné de Tuvache: ses camarades de chambrée le tuaient en jouant.

M. Martin s'est appliqué à trouver le st3de le plus propre à cette tragédie pastorale. On ne jurerait pas que le souvenir de Charles-Louis Philippe ne l'ait parfois hanté. Il s'est préoccupé de projeter fidèlement les pensées et les sentiments rudimentai- res de son héros : les soliloques de Tuvache sont de premier ordre. Pour le reste, il a procédé par tableaux successifs d'un style tour à tour nu et enrubanné. On le lui a reproché. Je me garderai de m'associcr à ce reproche. Cette alternance est piquante et fort originale. Elle donnait déjà son prix à une œuvre de George Sand, qui est délicieuse, que personne ne lit et qui s'appelle le Diable aux Champs.

Ce qui gêne dans ce roman, — tout fantaisiste qu'il soit — c'est qu'on cherche en vain le point d'insertion de cette histoire dans le réel. Tuvache s'admet sans difficulté, c'est la « vie unanime » du village qui paraît factice. Un village s'amuse d'un Tuvache jusqu'à la cruauté, mais un Tuvache n'aimante pas sur lui toute la vanité et toute la haine d'un village.

Mais on ne fait cette objection qu'après avoir fermé le livre, et on ne le ferme pas sans l'avoir lu jusqu'au bout et sans avoir été diverti d'abord, ému ensuite, selon le vœu de l'auteur.

BENJAMIN CRÉMIEUX

LES ARTS

RÉFLEXIONS SUR LE SALON D'AUTOMNE.

La peur de se compromettre. Telle serait, aux yeux d'un visi- teur impartial, la véritable tendance de ce Salon. Trop de pru- dence dans le choix du sujet et dans son exécution, une hâte trop

�� �