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752 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

livre non plus il n'y a pas déviation, le maintient dans la vérité de la vie au moment où il courait le risque d'en sortir.

Car ainsi que le remarquait André Gide à propos à'Armance : « La vie nous propose quantité de situations qui proprement sont insolubles », et tout amour porte en lui-même ses éléments d'insolubilité ; mais au fait général venait s'ajouter dans le cas des Pacaris — jusqu'au moment où Berthe accepte d'entrer pleinement dans le point de vue de son mari — une insolubi- lité particulière, dont à vrai dire Albert est responsable, et qui précisément n'est pas une insolubilité amoureuse. Lorsque Albert dit à son meilleur ami, à Ensénat : « Je n'ai pas été amoureux. J'ai aimé une jeune fille pour ses vrais mérites », il nous livre l'explication. Sans doute de ce propos il y ;i quelque chose à décompter : comme nous tous, lorsqu'il parle, Pacaris force un peu sa pensée. Cependant ici il lit en lui-même plus avant peut-être qu'il ne le croit. Il possède la tare de l'in- telligence toute distributive. Je ne dis pas qu'il soit incapable d'abandon : au contraire il lui advient constamment de se laisser vivre sans plus ; mais tour à tour il se laisse vivre, puis se reprend et ne veut plus alors que se conformer à une certaine idée précon- çue de lui-même et de Berthe, et que Berthe aussi s'y conforme : il y a alternance des deux états, mais non pas influence de l'un sur l'autre, ni surtout persistance, mémoire du premier dans le second. Demi-sage, de cette sagesse de qui a tout recueilli et rien sécrété, Albert Pacaris est l'homme des sautes, mais non celui des recommencements. Songez aux scènes entre Lévine et Kitty, puis à leurs réconciliations : ils n'ont même pas besoin d'explications pour se retrouver au même point qu'auparavant» C'est que Lévine bénéficie du souvenir toujours vivant en lui du premier amour, il n'a jamais aimé Kitty « pour ses vrais mérites » : savait-il seulement alors qu'elle en eût ? Ils ont pris le bon départ, et la beauté de l'attitude féminine en amour, c'est que le mouvement naturel de la femme — supérieure ou médiocre, libérale ou mesquine — est toujours celui-là. Ulté- rieurement, on peut obtenir d'elle les plus grands sacrifices, mais à la seule condition de ne pas ruiner de fond en comble ce point de départ. Parce qu'Albert n'est pas aidé, porté par son passé, il lui manque le soubassement qui soutient le mou- vant édifice de la vie sentimentale : il faut que ce soit Berthe à

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