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NOTES 747

Lorsqu'il déclare à un ami : c Je l'ai élevée avec amour... J'ai toujours eu le sentiment que je l'élevais pour un autre qui aurait mes goûts », il n'exagère qu'à peine. Voici d'ailleurs ce qu'il lui dit à elle-même : « Croyez-moi, je ne suis pas bon. Si j'étais bon, au lieu de vous prêcher la piété filiale, je vous dirais de retourner bien vite chez vous et de ne plus revenir. Les hommes tâchent de cacher leurs faiblesses par des paroles. Ils troublent l'esprit et c'est leur plus grande faute. Il faut recon- naître maintenant que nous agissons mal. Tout à l'heure vous allez mentir. Vous sacrifiez la pureté de votre conscience parce que nous cro5-ons nous aimer ; mais moi, qui n'ai jamais aimé personne, je ne vous aime pas comme vous pensez, et il demeure entre nous deux de subtils mensonges. Tout cela est laid. Il faut en convenir. Il faut garder un jugement droit. Une vue claire. C'est l'égarement de l'esprit qui est le grand mal irréparable... Vous avez un esprit très rare, que j'aime beaucoup. Je ne vou- drais pas l'abîmer. Le reste ne compte guère... Je serai toujours sincère avec vous. Nous parlerons de la vie... » Elle cependant c'est dans sa chair qu'elle est troublée, et c'est sa chair qui trou- ble à son tour son esprit. Les caresses d'Albert la bouleversent : elle entend moins ses paroles que sa voix ; l'amour supplante chez elle ces qualités par lesquelles à l'origine Albert fut attiré, et lorsque celui-ci finalement l'épouse, il se trouve aux prises avec une force qu'il alui-même éveillée et qu'il est également incapable de réduire ou de satisfaire. Dans les deux premiers tiers du second volume — qui marquent l'apogée de l'ouvrage — nous assis- tons à toutes les phases de ce malentendu fondamental jusqu'au moment où Berthe s'avoue qu'Albert a tué l'amour en elle et où elle éprouve un soulagement à le constater. Elle essaye alors de vivre comme si son mari ne comptait plus, se rattachant d'une part à tous les souvenirs auxquels il n'est pas mêlé, s'ouvrant de l'autre à ce que les jours peuvent lui apporter de nouveau ; puis un simple épisode, qui lui découvre soudain dans un camarade d'enfance cet inconnu qu'engendrent à la fois l'idée fixe du désir et la séduction-devoir, en lui faisant sentir toute sa faiblesse, la contraint à un retour sur elle-même, la ramène à « aimer ce qu'on connaît », et pour la première fois, regardant une photo- graphie de son mari alors absent, elle voit le point de \aie de l'autre : a A-t-il jamais ressemblé à ce portrait ? songeait Berthe

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