Page:NRF 17.djvu/748

Cette page n’a pas encore été corrigée

743 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAL'^E

à un Jammes. Sensoriellement parlant, il existe tout entier dès le premier jour.

Je crois, écrit-il, que ma sœur Marguerite était moins frappée que moi par l'étrangeté de ces bonshommes. (Ceci vient après la descrip- tion du père Fleury qui représentait à ses yeux le Juif-Errant.) J'ai souvent compris que ce qui rend le poète tellement spécial, c'est qu'il s'impressionne à jamais, là où d'autres ne sont qu'efBeurés. Lorsque tant d'amis me prêtent une si merveilleuse imagination dont ils s'amusentj ils ne se disent point qu'une vie de centenaire ne suffirait pas à l'invention de ce qui meuble la chambre de ma mémoire et qui est presque inépuisable. Là où tant d'autres laissent passer un geste, un mot, un lait, je le retiens. Ainsi l'araignée s'empare du moindre mou- cheron qui impressionne le prisme de sa toile.

Dans ce trésor inépuisable, Jammes n'aura donc qu'à puiser, en suivant autant que possible l'ordre chronologique, pour nous donner une idée à peu près exacte de son enfance — et c'est une innombrable succession d'images curieuses et simples, à peine enchaînées dans le temps, où nous retrouvons sans surprise les qualités ordinaires du poète. Ce qui en fait le charme, c'est la candeur. Tout lui est bon, tout lui est neuf ; tout lui reste bon, tout lui reste neuf, et « le parfum qui s'exha- lait du bâton de houx, coupé par mon père dans l'une de nos promenades d'automne » et le premier poème qu'il a lu « sur le chien Moufïetard » et à la même époque cette prose « oij deux petits garçons s'essuient les pieds avec de l'herbe fraîche avant d'aller rendre visite à une vieille dame qui coud à la machine... » et aussi l'étrange bonhomme qui s'éleva devant lui en aérostat, à l'occasion d'on ne sait quelle fête à Pau. Il vit parmi les choses, il vit des choses, non parmi les livres et des livres. « Je n'ai jamais vu, note-t-il, dans la plupart des œuvres des autres qu'un motif à m'exalter en y découvrant presque toujours ce que j'avais déjà trouvé et ressenti au centuple directe- ment. » Un seul auteur vraiment aimé peut-être, ce sera Jules Verne. A une époque où on fait tant de cas de « romanciers d'aventure » qui souvent ne le valent pas, ceux qui ont éprouvé la même passion juvénile, sauront gré à l'auteur du Roman du Lièvre d'avoir osé rendre hommage à l'auteur de Vingt Mille Lieues sous les Mers. Ce goût unique s'explique particulièrement chez Jammes par une hérédité coloniale et

�� �