Page:NRF 17.djvu/742

Cette page n’a pas encore été corrigée

73 6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

tout court, à ses desseins, aux conséquences de son triomphe éventuel ; cette pensée, disons-le sans ironie, étant plutôt réservée aux civils. L'auteur remarque autre chose : « Je finis par apercevoir ceci, que les hommes de troupe pensaient beau- coup à faire la guerre à l'ennemi, et que les officiers pensaient beaucoup à faire la guerre aux hommes de troupe ; et, quelle que fût la fortune des armes, nous étions vaincus, nous autres, dans cette guerre-là. » D'où ce soupçon, que l'ennemi (l'Ennemi, tout court), pourrait être une illusion que tout pouvoir entre- tient pour se conserver et s'étendre, un prétexte dont usent les Importants pour justifier leur Importance et brimer les Insou- ciants. Ils n'auraient pas même en cela besoin d'inventer ou de feindre, puisque l'illusion est ancienne, et crée sans cesse à nouveau son objet. « Les passions ont cela de redoutable qu'elles sont toujours justifiées par les faits ; si je crois que j'ai un ennemi, et si l'ennemi supposé le sait, nous voilà enne- mis. » Vérité partielle à ne pas oublier; bon conseil de sang- froid, bonne raison d'espoir. Mais qui ne dispense pas d'autres leçons. L'enchaînement de l'histoire en notre Europe est tel qu'une défiance préalable, mêlée à toute hostilité, paraît en être le facteur le plus constant. Toujours pourtant il s'y joint d'autres causes ; oserai-je affirmer qu'elles ne suffiraient point? L'homme a-t-il si bien changé depuis la conquête du Nouveau Monde, que jamais plus un peuple confiant ne risque d'éprouver soudain ce que pèse un ennemi ?

Non pas l'homme ; plutôt les sociétés humaines. Les condi- tions de la richesse collective, sous un régime de production industrielle, n'encouragent pas les pilleurs de trésors ; et les intérêts réels, à tout bien examiner, ne trouvent plus leur compte dans une agression. C'est qu'une agression coûte cher. La preuve cesserait d'être sûre, sitôt que l'agression redevien- drait facile ; ce qui gêne fort pour désarmer. Et cette preuve, si forte aujourd'hui, restait faible, tant qu'elle paraissait être démentie par le Fait. « Derrière tout document il y en a un autre », répète Alain quand on soulève le problème des respon- sabilités. Pour moi, cherchant dans ce passé récent quels conces- sions et accommodements étaient possibles de notre part, je m'ar- rête court devant cette garantie dernière qui devait nous être demandée. Remontant plus haut, j'évoque non le péché radical

�� �