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RÉFLEXIONS SUR
LA LITTÉRATURE


LES PHILOSOPHES

Chez un des bouquinistes du Quartier qui ont pour spécialité les livres de philosophie, je m’étonnais du bon marché relatif de certains ouvrages épuisés et rares, Cournot, Renouvier. « Monsieur, me dit le marchand, les bibliothèques des philosophes se défont maintenant plus vite qu’elles ne se font. Jusqu’à la guerre il fallait généralement attendre la mort d’un philosophe pour avoir ses livres. Le nombre de bibliothèques constituées correspondait à peu près au nombre de bibliothèques liquidées, c’est-à-dire qu’autant il mourait de philosophes dans l’année, autant à peu près de jeunes philosophes devenus grands se poussaient, se meublaient, achetaient, en même temps que les livres de M. Alcan, ceux que vendaient après décès les familles de leurs aînés (car on ne philosophe point, dans une famille, deux générations de suite). Nous étions les intermédiaires, et nous vivions modestement d’un métier tranquille. La clientèle était limitée, mais sûre. Tous les professeurs de philosophie d’Europe passaient dans ma boutique. Français, Allemands, Américains, Italiens, je les connaissais comme un vieil appariteur connaît les professeurs de sa Faculté. Aujourd’hui les philosophes vendent plus de livres qu’ils n’en achètent. Ceux d’Allemagne, ceux d’Autriche, sont logés à la même enseigne, et même à pire enseigne, que leurs compatriotes de classe intellectuelle. Ceux de France ont aussi leurs misères Et le public philosophique s’éclaircit. Pourquoi ? Vous devez le savoir mieux que moi. C’est la crise des études secondaires, me disent les professeurs. Nous autres, fleurettes qui poussons sur