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On ne se doit jamais brouiller avec son temps. Il faut au contraire remercier les gens qui veulent bien être législateurs, médecins, administrateurs, pédagogues, journalistes, etc. et se dire que sans eux tout irait plus mal encore. Tout nombre comparé à l’infini devient nul, mais comparé à zéro devient quelque cnose. Il ne faut mépriser rien de ce qui agit. Les préjugés régnants sont des moteurs. Ce n’est pas la vérité qui produit des effets, c’est ce qui est tenu pour vrai, donc la croyance et l’opinion ; et comme l’opinion résulte moins des arguments que des intérêts, des goûts, des aversions, des habitudes, l’opinion est à consulter comme un fait. Se garder de l’esprit polémique, frondeur et mécontent. On serait pris dans les querelles jusqu’à la mort. Il faut au contraire réduire au minimum la surface de flottement et ne se heurter au monde que juste pour conquérir son indépendance personnelle. Du reste renoncer à tout donquichottisme ; ne pas vouloir corriger les gens malgré eux, ni les rendre heureux de la manière qui les agace. Réclamer la paix et accorder la paix. Neutralité armée. Respect pour le droit de chacun de déraisonner et de dérailler à sa fantaisie. Ne dégainer que pour la justice, et n’obliger personne à boire sans soif. Tels son les conseils de la sagesse.

Mais ceux de la générosité, c’est d’offrir le pain de son four, le fruit de son arbre, l’eau de son puits. Le sage doit contribuer au travail de l’espèce. Sa contribution c’est de dégager de la lumière. Son devoir c’est de mettre son lumignon sur un boisseau, pour que le passant en profite s’il veut.

N’exagérons rien. Qu’un professeur professe, il a payé sa dette principale. Il ne doit pas son verdict sur les questions qu’on ne lui soumet point. Il peut dire comme ce Lacédémonien : « Je suis heureux que Sparte ait trois cents citoyens mieux qualifiés que moi pour diriger la chose publique. » Dans les choses que je connais le moins mal, mon avis n’est pas demandé et ne pèse pas : qu’est-ce à