la sagesse, à la foi, à l’inspiration. — Il faut protéger sa naïveté, si l’on ne veut pas arriver au scepticisme. — Du reste, toutes ces choses idéales, la Patrie, l’Eglise, la Nation, l'Humanité, la Science, la Civilisation, l’Art, ne s’aperçoivent qu’à distance, lorsqu’on cesse de distinguer les individus qui les représentent. L’imagination et l’enthousiasme noient toutes les misères, imperfections, défectuosités des individus réels et présents dans l’ensemble grandiose qu’ils sont censés composer. La Postérité, le Public, sont encore de ces belle: chimères que l’esprit personnifie. Le réel nous remplit d’ironie, de dédain ou d’amertume, et nous devons le poétiser pour le rendre supportable. Pour voir le Christianisme, il faut oublier presque tous les chrétiens. Pour reprendre un peu de foi, il faut reconstituer le nimbe que l’expérience dissout et disperse, il faut se refaire de l’illusion.
Le sentiment critique est chez toi si vif, que toutes les laideurs, les pauvretés, les erreurs, les insuffisances humaines te sautent aux yeux et te prennent à la gorge. Tout ce qui n’est pas parfait te fait souffrir. Aussi la solitude t’est nécessaire pour reprendre l’équilibre et revenir à l’indulgence. Elle t’est bonne aussi pour oublier le train de ce monde où c’est le plus souvent la queue qui conduit la tête, la force qui l’emporte sur l’esprit, la volonté qui précède l’intelligence, où c’est rarement le plus autorisé, le plus expert qui dirige, qui prononce, qui organise, qui exécute. — Tu as le malheur de ne pouvoir t’agenouiller devant l’Opinion, devant le Journalisme, devant le Suffrage universel, devant la Démocratie, parce qu’un moindre mal n’est pas un bien, et qu’une fiction n’est pas une vérité. Tous ces prétendus principes sont presque aussi nuisibles qu’utiles et faux que vrais. Bref, tu ne reconnais que des supériorités individuelles ; les collectivités ne sont point organes de science ni de sagesse. Tous les fétiches te répugnent. Mais tu sais que cette disposition désabusée est un malheur.