6^4 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
Il me semble pourtant mettre le Blanc au-dessus des races de couleur, et placer l'Hellène du temps de Miltiade au-des- sus de la plupart des peuples. Pourtant mes affinités ins- tinctives sont plutôt individuelles. Il y a certaines créatures qui m'attirent, mais dans le cours de l'histoire et dans le' présent, je ne les crois pas nombreuses ; du moins à cette minute je n'en saurais nommer beaucoup. Toutes les insuffisances et imperfections me blessent esthétiquement, et quoique je les entoure d'indulgence, elles m'ôtent cette admiration qui est une des conditions de l'amour. Mon individu tombe sous le coup de cette loi, et je me trouve trop laid, trop faible, trop mauvais, pour m'honorer de mon amour.
L'amour-enthousiasme ne m'est donc plus possible. Reste l'amour-charité, l'amour fraternel et paternel, celui qui veut secourir, fortifier, réjouir, ennoblir son objet. Celui- là peut aimer un être et un peuple pour ses misères et ses souffrances, pour ce qui lui manque et pour ses difformi- tés morales, plutôt que pour ses excellences et ses privi- lèges, Uamour-compassion trouve toujours de l'emploi, quand l'amour-admiration n'en a plus.
��2é MAI 1880
Une chose me révolte toujours, c'est la frivolité des mo- tifs qui en démocratie décident des grandes choses. L'acci- dent, la niaiserie, la passion jouent un rôle exorbitant dans les affaires. Une bévue du président, l'absence de tel ou tel député, une surprise, une négligence, en un mot le hasard peut amener oui au lieu de non. Cela ôte tout prestige à l'assemblée législative et toute majesté à ses décrets. Ce n'est que par une fiction légale que nous respectons la loi. — Il ne faut regarder de près ni le Tribunal, ni le collège des m édecins, ni la réunion des députés, ni les Consistoires ni les Conciles, si l'on veut croire à la justice, à la science, à
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