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FRAGMENTS INEDITS DU JOURNAL INTIME 69 1

II JUIN 1875

(8 h. matin). Ciel strié de cirres, température char- mante... Le bleu dévore peu à peu les nuages, le bien surmonte le mal : accroc au pessimisme. Mais un détail s'efface dans l'ensemble.

La vie en somme est-elle un bien ? Voilà la question . Vaudrait-il mieux que le monde ne fût pas ? Tel est le problème.

19 MAI 1878

... Ceux qui savent répugnent à quereller constamment ceux qui jugent sans savoir. Ils n'ont point de terrain com- mun. Les premiers croient que nos idées ont à se conformer aux faits, les seconds que nos idées créent les faits, qu'il n'y a point de faits. L'ère démocratique ramène toujours la tendance de Protagoras, mais le sophisme reste inconscient chez les multitudes de perroquets dont se composent les foules et les coteries.

Les naïfs cherchent la vérité ; les autres ne reconnaissent que les opinions dont peuvent se nourrir ou s'étayer leur intérêt, leur vanité ou leur passion ; la vérité est une bête de somme qu'ils exploitent, bâtent, enchaînent, dressent pour leur ser\'ice. Quelle église, quel parti politique ne dénature l'histoire à son profit ? Dans les questions hu- maines, la vérité n'arrive à se faire jour qu'après l'épuise- ment de toutes les formes de l'erreur, de tous les modes de l'abus.

Ce qu'il y a de plus rare, c'est la parfaite droiture de volonté, et ce qui l'est presqu'autant c'est la liberté de l'es- prit, la dépréoccupation lucide. — Aussi les jugements de milliers d'individus ne sont-ils que des insignifiances numé- riques. Qu'importe ce verbiage de gens qui ne sont pas dans les conditions visuelles et morales où l'on peut être un témoin. La critique des opinions conduit au mépris

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