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684 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

voudrais surtout sauter hors de mon ombre, me débarras- ser de moi-même, mettre au rebut ma vieille peau, mon vieil homme, mes sottises, mes fautes, mon passé, mon présent et plonger dans la chaudière d'Eson, pour ressortir changé. Changé de 7noi, renouvelé d'esprit et de volonté, métamor- phosé, car rajeuni n'est point suffisant. On se lasse d'être quarante ans dans sa propre compagnie ; on finit par se subir comme un ennui et se traîner comme un boulet. On aspire à devenir un autre. Cette inclination est peut-être un argument contre l'immortalité de l'âme. L'éternité peut apparaître comme une fatigue et un tourment, et non pas seulement comme une récompense. L'impérieux besoin de rafraîchissement et de renouvellement peut aller jusqu'à l'effroi de ce qui dure sans fin. Le cœur loge cette antino- mie étrange : soif du toujours, aversion du toujours. Il hait et il adore l'inconstance ; il maudit et il implore le chan- gement. Il veut et il ne veut pas. Monstre incompréhensi- ble ! disait Pascal. — Les anachorètes arrivent même à la satiété de Dieu, comme les gens du monde à la satiété des hommes. Tout finit par ennuyer. L'ennui est l'héritier universel de tous nos désirs. Le gouffre intérieur où toutes nos illusions aboutissent, bâille à son tour d'avoir à dévo- rer cette fumée renaissante. Vanité des vanités, tout est vanité.

Autre contradiction : toi qui t'amuses d'un rien, tu peux donc t'ennuyer de tout. Est-ce donc le châtiment du badi- nage d'arriver à cefastidium suprême, où c'est de soi qu'on est écœuré ? De soi, c'est-à-dire de ses défaites, de ses irrésolu- tions, de ses misères, de son inguérissable fragilité, de son travail stérile, de ses agitations infécondes, de ses velléités impuissantes. — Es-tu tout neuf ? es-tu tout usé ? qu'es-tu et qui es-tu, insupportable bavard, qui as la monomanie des fustigations inutiles et des admonestations sans résultat ? ■ — Que de tapage, de verbiage et de tortillements, pour retarder ce qui te fait peur, la décision et l'action.

Le vrai bonheur est un abîme ;

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