Page:NRF 17.djvu/666

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dernier, la voiture était revenue vide. « Il a sûrement été fourré au bloc, il n’y a pas d’autre explication de sa fugue. Ah ! dame, vous savez dans le métier militaire avec ces gaillards-là, il suffit d’un adjudant grincheux. — Ce sera d’autant plus mortifiant pour Mme Verdurin, dit Brichot, s’il lâche encore ce soir, que notre aimable hôtesse reçoit justement à dîner pour la première fois les voisins qui lui ont loué la Raspelière, le Marquis et la Marquise de Cambremer. — Ce soir, le Marquis et la Marquise de Cambremer ! s’écria Cottard. Mais je n’en savais absolument rien. Naturellement je savais comme vous tous qu’ils devaient venir un jour, mais je ne savais pas que ce fût si proche. Sapristi, dit-il en se tournant vers moi, qu’est-ce que je vous ai dit : la Princesse Sherbatoff, le Marquis et la Marquise de Cambremer. » Et après avoir répété ces noms en se berçant de leur mélodie : « Vous voyez que nous nous mettons bien, me dit-il. N’importe, pour vos débuts, vous mettez dans le mille. Cela va être une chambrée exceptionnellement brillante. » Et se tournant vers Brichot il ajouta : « La patronne doit être furieuse. Il n’est que temps que nous arrivions lui prêter main forte. » Depuis que Mme Verdurin était à la Raspelière elle affectait vis-à-vis des fidèles d’être en effet dans l’obligation et au désespoir d’inviter une fois ses propriétaires. Elle aurait ainsi de meilleures conditions pour l’année suivante, disait-elle, et ne le faisait que par intérêt. Mais elle prétendait avoir une telle terreur, se faire un tel monstre d’un dîner avec des gens qui n’étaient pas du petit groupe, qu’elle le remettait toujours. Il l’effrayait du reste un peu pour les motifs qu’elle proclamait, tout en les exagérant, si par un autre côté il l’enchantait pour des raisons de snobisme qu’elle préférait taire. Elle était donc à demi sincère, elle croyait le petit clan quelque chose de si unique au monde, un de ces ensembles comme il faut des siècles pour en constituer un pareil, qu’elle tremblait à la pensée d’y voir introduits ces gens de province, ignorants de la Tétralogie et des « Maîtres », qui ne sauraient pas