préférence à toutes autres, et auxquelles un certain goût de solitude et de simplicité l’avait fait se borner. « Je ne vois personne d’autre, » disait-elle en insistant sur le caractère inflexible de ce qui avait plutôt l’air d’une règle qu’on s’impose que d’une nécessité qu’on subit. Elle ajoutait : « Je ne fréquente que trois maisons », comme les auteurs qui craignant de ne pouvoir aller jusqu’à la quatrième annoncent que leur pièce n’aura que trois représentations. Que M. et Mme Verdurin ajoutassent foi ou non à cette fiction, ils avaient aidé la Princesse à l’inculquer dans l’esprit des fidèles. Et ceux-ci étaient persuadés à la fois que la Princesse, entre des milliers de relations qui s’offraient à elle, avait choisi les seuls Verdurin, et que les Verdurin, sollicités en vain par toute la haute aristocratie, n’avaient consenti à faire qu’une exception en faveur de la Princesse.
La Princesse était fort riche ; elle avait à toutes les premières une grande baignoire où, avec l’autorisation de Mme Verdurin, elle emmenait les fidèles et jamais personne d’autre. On se montrait cette personne énigmatique et pâle qui avait vieilli sans blanchir et plutôt en rougissant comme certains fruits durables et ratatinés des haies. On admirait à la fois sa puissance et son humilité, car ayant toujours avec elle un académicien, Brichot, un célèbre savant, Cottard, le premier pianiste du temps, plus tard M. de Charlus, elle s’efforçait pourtant de retenir exprès la baignoire la plus obscure, restait au fond, ne s’occupait en rien de la salle, vivait exclusivement pour le petit groupe, qui un peu avant la fin de la représentation se retirait en suivant cette souveraine étrange, et non dépourvue d’une beauté timide, fascinante et usée. Or si Mme Sherbatoff ne regardait pas la salle, restait dans l’ombre, c’était pour tâcher d’oublier qu’il existait un monde vivant qu’elle désirait passionnément et ne pouvait pas connaître : la « coterie » dans une « baignoire » était pour elle ce qu’est pour certains animaux l’immobilité quasi-cadavérique en présence du danger. Néanmoins le goût de nouveauté et de curiosité qui travaille les gens du