seule aux heures où personne n’est admis. » En effet la Grande-Duchesse Eudoxie, ne se souciant pas que la Princesse Sherbatoff qui depuis longtemps n’était plus reçue par personne vînt chez elle quand elle eût pu y avoir du monde, ne la laissait venir que de très bonne heure quand l’Altesse n’avait auprès d’elle aucun des amis à qui il eût été aussi désagréable de rencontrer la Princesse que cela eût été gênant pour celle-ci. Comme depuis trois ans, aussitôt après avoir quitté, comme une manucure, la Grande-Duchesse, Mme Sherbatoff partait chez Mme Verdurin qui venait seulement de s’éveiller, et ne la quittait plus, on peut dire que la fidélité de la Princesse passait infiniment celle même de Brichot, si assidu pourtant à ces mercredis où il avait le plaisir de se croire à Paris une sorte de Chateaubriand à l’Abbaye aux bois et à la campagne, où il se faisait l’effet de devenir l’équivalent de ce que pouvait être chez Mme de Châtelet celui qu’il nommait toujours (avec une malice et une satisfaction de lettré) : « M. de Voltaire ». Son absence de relations avait permis à la princesse Sherbatoff de montrer depuis quelques années aux Verdurin une fidélité qui faisait d’elle plus qu’une « fidèle » ordinaire, la fidèle type, l’idéal que Mme Verdurin avait longtemps cru inaccessible et qu’arrivée au retour d’âge, elle trouvait enfin incarnée en cette nouvelle recrue féminine. De quelque jalousie qu’en eût été torturée la Patronne, il était sans exemple que les plus assidus de ses fidèles n’eussent « lâché » une fois. Les plus casaniers se laissaient tenter par un voyage ; les plus continents avaient eu une bonne fortune ; les plus robustes pouvaient attraper la grippe ; les plus oisifs être pris par leurs vingt-huit jours ; les plus indifférents aller fermer les yeux à leur mère mourante. Et c’était en vain que Mme Verdurin leur disait alors, comme l’Impératrice romaine, qu’elle était le seul général à qui dût obéir sa légion, comme le Christ ou le Kaiser, que celui qui aimait son père et sa mère autant qu’elle et n’était pas prêt à les quitter pour la suivre n’était pas digne d’elle,
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