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CHRONiaUE DRAMATIQUE 6l^

Il (M. Antoine) arrive grommelant dans le pré où s'est réfugiée la troupe, et furieux, il dit :

— Vous n'avez même pas été foutus de préparer le déjbuuer ?

Ce n'est pas faute d'y avoir songé. Ils n'ont pas eu d'autre pensée depuis qu'on les a chassés de la cour^ car ils sont venus retrouver le panier aux victuailles, et ils se sont demandé deux heures durant : « Faut-il l'ouvrir ? Faut-il le laisser ?Si on l'ouvre... il gueulera ; si on le laisse... »

Ils l'ont laissé : il gueule tout de même. C'est un prétexte ; il est d'une nature volcanique : il faut toujours s'attendre à une éruption. Celle-ci est grave.

Il s'assied au pied d'un arbre :

— Je veux tout de suite manger et boire.

Alors, ils sont dix à la fois à ouvrir le panier et à se ruer vers lui avec ser\'iette, couverts, nourriture et boisson.

— Patron, préférez-vous du saucisson ou des sardines ?

— Je m'en fous, monsieur, je veux manger ! Je travaille comme un cheval, je me crève, et j'ai le droit de manger !

Alors, on lui met de tout ce qu'on trouve dans des assiettes, et on lui tend des verres pleins.

Il dit : « Posez tout ça là ! »

Puis il commence à avaler, nerveusement, furieusement. Il mange des olives sans arracher les noyaux, du jambon sans enlever le gras, des sardines avec la peau et les arêtes. Il mange des cerises et une poire, et après du veau froid, et il ne cesse de fulminer, seul contre son arbre.

Tel est, en raccourci, et d'après le récit de M. René Benja- min, M. Antoine. L'auteur a eu raison de nous dire qu'il ne flattait point son modèle. L'impression est telle, au moins pour mon goût, qu'on n'a aucune envie de le connaître.

MAURICE BOISSARD

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