Page:NRF 17.djvu/620

Cette page n’a pas encore été corrigée

6l4 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE-

bien observé. Si toutes les pièces qui nous sont offertes en géné- ral dans nos théâtres et qui n'ont d'autre prétention que de nous distraire, valaient celle-ci, nous aurions moins à nous plaindre. La mise en scène elle-même a son agrément et chaque rôle est tenu parfaitement, par des comédiens pleins de naturel dans leur débit comme dans leurs attitudes, M, François Fonson lui- même en tête.

Le Théâtre du Vieux-Colombier a fait une excellente réou- verture avec La Fraude, drame de Louis Fallens, un écrivain belge, et Au petit bonheur, une comédie rapide de M. Anatole France. La Fraude met en scène des contrebandiers flamands à la frontière hollandaise, dans leurs ruses et leurs conflits avec les douaniers. Il v a là un tableau de mœurs extrêmement réussi, vigoureux, plein de couleur, attachant et remarquable- ment mis en scène. Le merveilleux, l'admirable amour, qui pousse les hommes aux actions les plus osées, tantôt nobles et tantôt basses, y circule et y met sa passion, son enchantement et sa détresse. Je n'étais pas à là répétition générale. J'ai vu la pièce un jour de public, un public fort élégant. Il ne m'a pas paru qu'elle fût appréciée comme elle niérite de l'être. Est-ce parce qu'elle met à la scène des personnages qui ne sont pas irréprochables au point de vue social ? Le vieux fraudeur Libor, à un moment, parlant d'une rencontre possible avec un douanier, lequel pourrait y succomber, a ce mot : c- Baste ! un douanier n'est pas un homme ». Il parle là en homme qui a le goût de vivre sans entraves et pour lequel un douanier n'est ni un homme libre ni un homme qui a le sens de la liberté. Il dit vrai, d'ailleurs. Accordez-vous quelque valeur au fait d'être un homme ? C'est un fétichisme, pour ma part, que je n'ai pas. Mais si vous l'avez, vous êtes bien forcé de reconnaître que qui- conque assume à un degré quelconque un rôle de surveillance ou de répression sur autrui est fort déchu. La société est une belle chose et on ne saurait trop admirer les mille détails de son organisation, mais la vraie morale humaine offre d'autres points de vue. On peut penser que certains métiei's, que je n'ai pas besoin de préciser davantage, et qui vont de celui de magistrat à celui du dernier des sbires, n'ont rien de flatteur pour ceux qui les exercent, et qu'il vaut mieux, pour l'estime de soi, être contrebandier que d'être gendarme.

�� �