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6lO LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

déposé à la façon d'une durée vécue qui se gonfle et d'une mémoire qui se forme. Et c'est parla qu'il fait concurrence non seulement à l'état-civil, mais à la nature, qu'il devient une nature. Ainsi se créent la force et l'être de la Foire aux Vanités, du Moulin sur la Floss (pour lequel M. Chevalley montre un bien injuste dédain), d'Anna Karénine, des Parents Pauvres, de l'Education Sentimentale, des Frères Karamazov. Leur repro- cher de n'être pas composés, c'est leur reprocher d'être. Je sais bien qu'au-dessous de ces mondes vivants, il y a de belles œuvres pour lesquelles le mot composition reprend un sens, ou plutôt réunit sous une étiquette un peu arbitraire un certain nombre de sens : on pourra dire par exemple que Galsworthy et Johan Bojer, M. Boylesve et les Tharaud saveat composer, et sans recourir à l'esthétique dram^atique. Cela signifie d'abord qu'ils savent conter, puis qu'ils sont intelligents, et puis que leur roman est fait pour exécuter une idée de roman qu'ils ont eue, qu'ils ont fait ce qu'ils voulaient et l'ont bien fait. Mais ceux qui ont écrit les romans- nature que je nommais auraient pu, eux, dire comme Flaubert : On, n'écrit pas les livres qu'on veut. On sent que leurs romans ne sont pas sortis d'une idée, mais qu'un monde d'idées sort de leurs romans. Ils se trouvent, si on veut, composés quand ils sont écrits, mais ils n'étaient pas composés avant d'être écrits, et il n'y a de vraie composition que préconçue. Cela soit dit pour poser le problème, un peu au hasard, par quelques touches, et nullement pour le résoudre.

ALBERT THIBAUDET

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