Page:NRF 17.djvu/615

Cette page n’a pas encore été corrigée

RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 609

plusieurs reprises que les romanciers anglais composent mal (ce qui est un lieu commun de la critique française). Dans Walter Scott il fait une exception pour la Fiancée de Lamtner- inoor, qu'il reconnaît « admirablement composée ». Mais la Foire aux Vanités est « mal composée ». D'autres encore. Qu'est-ce donc qu'un roman bien composé? Je crains qu'il y ait dans ce mot une convention artificielle et scolaire qu'on se transmet sans trop y regarder.

Flaubert se reproche au sujet de tous ses romans des défauts de composition, et le problème : Flaubert savait-il composer ? pourrait relayer la fastidieuse question : Flaubert savait-il écrire ? Quel est le roman de Balzac, de George Eliot, de Tolstoï, de Dostoïewsky qui soit composé ? Si Maupassant soigne la composition de ses nouvelles, il n'en fait pas autant pour ses romans. Si la composition était le mérite principal d'un roman, il n'en faudrait mettre aucun avant ceux de M. Bourget.

La vérité est que le mot de composition a un sens très diffé- rent quand il s'agit du théâtre et du roman. La composition dramatique est fondée sur des simultanéités. Elle resserre dans le temps (trois unités), elle porte non sur des évolutions, mais sur des situations, des coupes typiques et momentanées mises en pleine lumière. L'exigence de la composition s'y traduit par l'exigence de la scène à faire, qui réunit pour des paroles déci- sives les principaux personnages sur un même espace et à un même moment, et qui n'est par conséquent que la loi des trois unités à la seconde puissance ; on peut l'appeler une composi- tion dans l'espace autant et plus qu'une composition dans le temps. M. Bourget (dont l'exemple est instructif) a échoué au théâtre parce qu'il y apportait des habitudes de romancier, et cependant c'est avec des secrets de théâtre qu'il compose ses romans : aucun qui ne tourne autour de la scène à faire, de la confrontation, de l'entrevue d'Agrippine et de Néron, des marronniers de Figaro. Mais le grand roman, le roman-nature, pour reprendre l'expression de tout à l'heure, ce n'est pas cela, c'est de la vie, je veux dire quelque chose qui change et quelque chose qui dure. Le vrai roman n'est pas composé, parce qu'il n'y a composition que là où il y a concentration, et, à la limite, simultanéité dans l'espace. Il n'est pas composé, il est déposé,

39

�� �