Page:NRF 17.djvu/611

Cette page n’a pas encore été corrigée

RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 6o$

trois littératures classiques, la troisième étant celle de la France du xviie siècle, le roman fait figure de parent pauvre. Quand il «'enrichit, c'est, comme le bourgeois ou le paysan, avec les biens des deux ordres privilégiés. Brunetière nous montre le roman français se nourrissant avec Lesage et Marivaux des pertes successives de la comédie, avec Prévost et Rousseau (ceci est un peu artificiel) des pertes de la tragédie, s'incorporant avec Madame de Staël et George Sand le domaine des moralistes, avecles descriptifs le domaine de la poésie. Il faudrait faire aussi une place importante au genre épistolaire, qui produit au xviiie siècle le romande Richardson, de Rousseau, de Laclos, et ^ui donne sa forme naturelle aux désirs et aux ambitions de leurs destinées manquées : le soldat qui ne reçoit jamais de let- tres, et qui s'en écrit à lui-même pour entendre le vaguemestre le nommer, s'il est poète, ce sont les plus belles de la compa- gnie. L'évolution du roman anglais serait un peu différente. Ses origines sont moins aristocratiques. On le voit pousser au xviii« siècle dans des boutiques d'écrivains publics (et Dickens ce sera encore une boutique ouverte sur la rue la plus vivante -et le courant humain le plus extraordinaire). Mais dans cet apport des genres anciens qui constituent le genre nouveau, il faudrait faire en Angleterre, où la littérature incline plus que ■chez nous vers la poésie pure, une place plus grande à la poésie. « Qu'est-ce que Walter Scott ? dit M. Chevalley. Un poète ren- tré, un grand poète épique, narratif, descriptif, évocateur, •lequel, déçu et dépassé dans la poésie, prend sa revanche en prose. Il anoblit le roman en y portant l'éclat des genres jusqu'a- lors dits nobles. »

Et le roman est un genre impérialiste. 11 y a en lui une volonté de domination, une puissance d'absorption comparables à ceux de la race anglo-saxonne. S'il a commencé à se nourrir des reliefs de la poésie et du théâtre, il est maintenant installé à table, la maison lui appartient et c'est à eux d'en sortir. Aujour- d'hui, en France comme en Angleterre et comme ailleurs, faire de la littérature c'est faire du roman. En France, il y a vingt .ans, faire de la littérature c'était encore faire du théâtre, comme .au xviii« siècle ; de même que faire de la critique c'était faire de '.la critique dramatique. Aujourd'hui le théâtre est un monde -fermé abandonné à des professionnels (j'avais écrit habiles pro-

�� �