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59^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

j'aille mon chemin. Rien qu'à sa voix, je sentis que c'était une de ces femmes qui, même quand elles sont seules, ont toujours l'air de regarder un homme dans les yeux. Alors moi qui, la veille, attendais qu'on eût servi le dernier gamin avant d'oser demander une écuelle de soupe, je ne sais pas ce qui me poussa : « Ouvrez, lui commandai-je, ou dans ce moment même il arrive un malheur à l'homme que vous savez ! »... Mon cœur se met à battre... La lumière quitte la fenêtre... une lueur passe sous la porte... on tire le verrou !... Il était bien minuit et lorsque j'eus mangé et bu, la femme m'offrit un coin de la salle pour dormir... Mais je sortis, car je ne pouvais plus respirer dans une chambre !...

Voilà ce qui m'advint ce premier jour... Il y avait quel- que chose en moi qui pouvait obliger les plus forts à m'obéir... J'en fis l'épreuve une seconde fois, une troisième... Et je compris peu à peu que cette force, c'était YEsprit !

(Siknce)

Lazare. — Ça doit te plaire de commander.

CÉSAIRE. — Ça ne me plaît pas.

Lazare. — On ne te maltraite plus.

CÉSAIRE. — Tu crois que j'y ai beaucoup gagné ? Tous ceux que je vois, j'essaie de les faire plier devant moi. Je ne peux pas m'empêcher d'essayer... Ils le sentent... Ils m'en veulent... Ils m'en veulent encore plus qu'au temps où ils me forçaient de curer leurs égouts... (Avec fatigue) Je voudrais vivre en paix !...

Lazare. — Qui t'en empêche ?

CÉSAIRE. — Je voudrais vivre auprès de quelqu'un à qui toutes ces choses soient égales, l'esprit ou pas l'esprit... qui me traite comme n'importe qui... sans mépris, mais aussi sans se tenir toujours sur ses gardes... Un bon com- pagnon, quoi ?... gai et qui ne s'étonnerait pas de grand'- chose... Et même s'il joue de la flûte, il n'y a pas de mal... (Son regard attend une réponse de Lazare.)

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