Page:NRF 17.djvu/595

Cette page n’a pas encore été corrigée

CÉSAIRE 589

Benoit. — Qu'est-ce que c'est que cette histoire de pins et de coudres ?

CÉSAIRE. — Il faisait vent d'est... Tu ne crois pas ?... Puisqu'elle s'est plainte que le sable lui piquait les yeux. Elle était mécontente, déçue...

Benoit. — Tu mens! Tu mens!... Elle disait qu'elle voudrait rester là toute sa vie.

CÉSAIRE. — Quand vous avez d'une femme ce que vous en vouliez, vous n'êtes plus attentifs à rien. Elle était de mauvaise humeur... Ah, ah ! tu ne sais plus, tu ne sais plus ! J'écrase tes souvenirs comme de la mie de pain. Et je te les détruirai miette à miette, jusqu'à ce qu'il ne t'en reste plus, jusqu'à ce que tu ne saches plus, quand tu entendras nommer Rose-Marie, qui c'était et qu'il me faille t'expliquer : ce C'est une amoureuse que j'ai eue... » Il se peut que mon vieux père, chauve et noué, n'ait su me faire qu'un corps infirme ; mais il m'a donné VEsprit dont vos jouvenceaux de parents étaient bien incapables de vous faire cadeau ! Et l'Esprit est plus fort que tout le reste, l'Esprit calcule, l'Esprit ne se lasse point, l'Esprit n'oublie point !...

(Césaire est debout au milieu de la pièce. Il s'essuie le front. Benoît s'est effacé, presque jusque dans l'âire.)

Prends une chaise... On sera mieux pour causer... Tu ne veux pas causer ?... Même pas de Rose-Marie ?... Je la vois avec tant de netteté. Elle est là, devant moi, vivante... je puis te décrire tous les petits points gris et bruns qui font un cercle autour du noir de ses yeux... je la vois, je te dis I... Rien de ce que j'ai regardé, je ne l'oublie !... Elle a son corsage à pois, des ronds noirs sur du blanc... et entre deux agrafes de son col, j'aperçois sa peau, qui est un peu plus brune en cet endroit... Tu vois biea qu'elle est devant moi !... Maintenant tu te rappelles les agrafes et l'étoffe qui baille. Tout ce que tu essaies confusément de retrouver, moi je le vois ! Tout ce que tu as oublié, moi je le sais !... Tu sens déjà que tu ne

�� �