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580 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Césaire. — J'étais — comme par hasard ! — du même quart que lui. On causait entre les manœuvres... ou bien de nos couchettes qui étaient, tu le penses bien, comme celles de deux frères, l'une à côté de l'autre.

Benoit, — Pourquoi restait-il près de toi ?

Césaire. — Dès le second jour, il a voulu payer un camarade pour changer deplace avec lui. Mais j'ai payé le double et l'autre a refusé de quitter sa couchette... Ne crois pas que je le tourmentais. Jamais je n'ai fait allusion à ses amourettes. Nous parlions d'une voix tranquille. On aurait dit des amis de cœur.

Benoit. — Il aurait mieux fait de s'échapper à la nage, l'imbécile !

Césaire. — Au commencement je le surveillais et il ne se rendait pas compte du danger. Il ne l'a compris que trop tard, quand il ne pouvait plus étouffer son envie d'écouter ce que je lui racontais. Je l'ai bien constaté un soir qu'il était couché et qu'il grognait entre ses dents : « Parle-tout ton soûl. Tu perds ton temps. J'ai mes deux mains sur mes oreilles ! » Il s'était caché sous sa couverture, mais je voyais bien qu'il tendait la tête pour entendre en- core. Lâche et curieux comme vous tous !

Benoit. — Ne me regarde pas de cette façon !

Césaire. — Tu parles comme Yvon. Je lui disais : « Je ne te regarde pas autrement que les autres. Si tu veux, je fermerai les yeux. Je ne suis pas une fille qui prend les cœurs en coulant ses prunelles dans les coins... » Au bout de trois jours, tout le monde le blaguait : « Eh bien, Yvon, quelle mine tu fais ! Viens-tu seulement de décou- vrir que tu as des cornes ? »,On s'aperçut vite qu'il claquait de peur, au point que le patron me questionna devant tout le monde. « Il se plaint donc à vous ausii, que je répondis ; à moi il ne fait que me raconter ses chagrins. » Juste il descendait. Le patron lui a dit : « On n'aime pas voir des têtes pareilles. On finit par mal penser de ton camarade. Explique une bonne fois ce que tu lui veux ! »

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