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JEROME ET JEAN THARAUD 567

qu'il n'est besoin ni d'usines, ni de grèves pour écrire des romans où soit rendue sensible l'âme des foules.

Et en même temps, ils méritent d'être rangés au nom- bre des prosateurs contemporains qui nous ont rendu le goût et le sens du voyage, de l'Europe, de l'aventure que le naturalisme avait détruit. Entre Gide et Larbaud, il faut leur réserver une place d'honneur.

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��La matière première de leur art étant celle qu'on vient de dire, comment s'étonner que tout l'art des Tharaud soit un art de collaboration, de juxtaposition, d'addition ? Il ne s'agit point ici de faire jaillir du fond de soi-même des sen- sations ou des images, mais de patiemment observer des races et des civilisations, d'après nature ou d'après les livres. D'un paysage, d'un geste, d'une parole, il faut extraire un sentiment, méditer sur lui, le comparer à d'au- tres, le ranger dans sa série pour, le moment venu, l'utili- ser dans tel ou tel chapitre. Mieux vaut pour cela être deux qu'un seul. Et il vaut mieux aussi être deux quand il s'agit de se ressouvenir de la figure exacte d'un paysage, ou encore de mettre bouta bout des arguments. On imagine cette entr'aide permanente, et le résultat, c'est qu'on a tou- jours l'impression que les deux frères épuisent chacun de leur développement, chacune de leur description. Quand ils ont achevé, il n'y a vraiment plus rien à ajouter.

Et cette collaboration est sensible à travers toute la mise en œuvre, comme elle l'était déjà dans le style. Ce ne sont pas les Tharaud qui créent en état de somnambulisme... Toutes les phases de la création sont soumises aux exi- gences d'une discipline consciente et sans relâche, obtenue du libre assentiment de leurs deux talents conjugués aux suprêmes lois de la logique et de l'esthétique. Dans le char- pentage d'un livre, les plus petites poutrelles seront prévues d'avance. Avant de rédiger, combien traceront-ils d'épurés ?

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