'5 5 'S LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
Virtuosité incomparable, mais qui n'est pas exempte de grands dangers. Sans cesse entre la page et l'émotion du lec- teur s'interpose en tiers ce beau style, toujours en habits de dimanche, requérant sans arrêt l'attention et tyrannisant les auteurs aussi bien que leur public par des exigences de « m'as- tu vu ». L'on pourrait dans un accès de mauvaise humeur se laisser aller jusqu'à dire que les Tharaud s'écoutent écrire, comme un Maître de Moro-Giafferi s'écoute parler, ou encore qu'il ne se rencontre pas dans toute leur œuvre une page qui semble s'être écrite seule. Et en parlant de la sorte, on ne ferait en vérité que pousser jusqu'à l'outrance une impression parfaitement juste.
Le st}de des Tharaud est proprement surajouté, plaqué du dehors sur la pensée ou l'image. C'est là sa force appa- rente et sa faiblesse intime. Sa force, car aucune prose, celle d'Anatole France excepté, ne donne présentement une pareille impression de classicisme, si l'on groupe dans ce mot confus un sentiment de certitude, de stabilité, de pureté.
Sa faiblesse, si l'on songe à la double fonction des grands prosateurs qui est d'une part d'intégrer dans la langue écrite ce qui vaut d'être retenu du langage parlé à leur époque et d'autre part de mouler la grammaire et la syn- taxe sur les mouvements les plus secrets et les plus vivants de leur âme et de leur temps. Travail de discrimination et d'élection qu'il est glorieux d'entreprendre et où les plus acharnés échouent souvent malgré leurs dons : ce fut le cas des Concourt, de Huysmans. Mais Flaubert, mais Rimbaud, deux exemples de réussite. Et aujourd'hui, chez un Ciraudoux une tentative dont le résultat de- meure encore imprévisible.
Au contact de tous ces novateurs ou rénovateurs, nous
ne manquons jamais de ressentir un peu d'inquiétude,
le sentiment d'une instabilité, ou, pour mieux dire, d'une
gratuité. L'arbitraire dans le choix des mots, dans celui des
mages et des constructions est frappant. S'agit-il seulement
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