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AMANTS, HEUREUX AMANTS... ' 555'

gramme. Vivre pour travailler. Mais il y a quelque chose de plus important que le travail : ceci que je défends contre moi-même : ma liberté. L'intégrité de la Sérénissime République ! Et apprendre à être seul devant la vie comme un jour je serai seul devant la mort. Non, pas même le silence, pas même l'oubli volontaire : ce serait lui donner trop d'importance ; ce ne serait pas de l'indifférence. Dans quelques années, l'année prochaine peut-être, je verrai tout cela comme des choses arrivées à un autre, dont les impulsions et les erreurs de jugement étonnent et diver- tissent ; et le cours de mes pensées d'à présent, si je me le remémore avec exactitude, me fera l'effet d'une pauvre chose lointaine, infirme, à peine drôle, et pathétique. Alors, ni celle-ci, qui m'occupait tant, ni les autres, ne compteront plus. Et même maintenant, si je me donne la peine de démêler ce qui se passe en moi, même main- tenant, ni l'une ni les autres ne sont atout dans mon jeu. Dans cette espèce de partie de cartes que je joue tous les jours avec moi-même et dont l'enjeu est ma satisfaction personnelle, cette vague approbation, ce contentement qu'on éprouve à la fin d'une journée bien remplie, elles ne sont pas atout : tout au plus des figures, qui comptent pour quelques points, mais qui ne me feront pas gagner. Je peux les jouer. Et en restant seul ici, je les joue. Et ce sera une impresssion curieuse et asssez agréable quand, reprenant des cartes au talon, un jour ou l'autre, je les relèverai, — pour les rejouer aussitôt. Peut-être surtout à cause des souvenirs qu'elles feront reparaître : le pays où cela se passait, le temps qu'il faisait, ce qui m'occu- pait, ce que j'avais en train, les vers ou la musique qui chantaient dans ma tête, tout le mouvement de ma vie, auquel elles étaient mêlées, étant les seules personnes, alors, que j'aimais regarder vivre, les seules assez agréa- blement indifférentes, après tout (oui, ce n'est que cela), pour faire partie de ma solitude, le seul, et léger, lien qui me rattachait aux gens. Et c'est probablement à Inga que

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