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534 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

pensées. Elle, ce n'est pas ainsi qu'elle aime ; la passion et non la vanité la mène, et rien au monde ne l'empêcherait, elle, de rejoindre ce qu'elle aime. Celle à qui je pense, le jour où je lui ai dit cette pauvreté : que je l'aimais autant que moi-même, — « Alors tu m'aimes bien peu. » Elle voulait dire que je ne m'aimais pas moi-même parce que je ne pensais pas assez à Dieu et à mon âme. Mais Inga, lorsqu'elle aime, se dépasse : elle devient la personne aimée, et il y a désormais entre elles un pacte si étroit que personne ne peut espérer s'y joindre. Emmurée dans son amour. Volontairement détournée, sourde, impla- cable, pétrifiée dans son amour. Et il faudra les laisser repartir ce soir, comme elles l'avaient décidé. Mieux ainsi. Libres tous deux, et personne ne nous entravera. Elle a ce qu'elle aime. Tant pis pour moi si... Mais j'ai celle à qui je pense, et dont je ne lui parlerai pas. Non pas pour le plaisir d'avoir quelque chose de secret pour elle, mais par crainte qu'elle ne voie ma faiblesse. Bonheur d'aimer un peu celle-ci, et de penser avec beau- coup d'amour à celle-là. Equilibre sentimental. « Aimer beaucoup » ? Non, libre, libre, détaché, à la dérive. Le vouloir fortement. « Ah, malheureuse jeunesse... » Eh bien, baisser la tête dans la tourmente, et patiemment marcher de l'avant comme sous les grandes averses tièdes et, cla- quantes de ce pays ; on voit reverdir les arbres et les volets des maisons ; fraîcheur où se mêle le souffle marin ; pioggia dirotta. Ah, et le voisinage constant de Cerri, si elles restaient. Le plaisir serait vite épuisé, et l'ennui res- terait : là terre sous les fleurs. Son mépris pour moi, hier soir. C'est pour ça que j'ai tenu à les enivrer, elle surtout. Et même dans l'ivresse, quand enfin elle a cédé, — cela ne pouvait vraiment pas se passer autrement, elle le savait, — ses regards, son air, sa pose, exprimaient ce mépris ; quelque chose comme : Je ne me donne pas ; vous me prenez comme un voleur, tristement, honteusement, parce que les circonstances vous favorisent et grâce à la

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