AiMANTS, HEUREUX AMANTS... 533
comme distraction et comme écran. Et puis ça ne le regarde pas. Et il arrive ceci : que l'engagement prend fin ou que le théâtre ferme, et Mademoiselle Ingeborg s'en va, et le jeune homme reste. Jusqu'à présent aucun n'a eu, avec tout son étalage de passion, assez de caractère et d'imagination pour la suivre. Le manque d'argent, ou des études à continuer, ou des parents sévères leur ont paru des excuses suffisantes, — ou encore leur ville où ils ont leurs habitudes, et ils ne se voient pas vivant ailleurs. Pour- tant, partir avec elle ! voir ce qui arrive ensuite ; partager sa vie aventureuse. Mais ils se font une raison, se per- suadent que ce grand amour, si douloureux, a pourtant été rassasié, et bien peu ont été assez clairvoyants pour deviner que la véritable Inga, la dangereuse, la passionnée, la dominatrice, n'était pas celle qui écoutait si patiemment leurs plaintes et toutes les sottises que leur vanité blessée et leur besoin d'être aimés leur faisaient dire. Mais tous ont souffert et ont indistinctement senti qu'ils s'étaient fourvoyés dans une vie où il n'y avait pas de place pour eux. Ils ont obtenu ce qu'ils voulaient et en même temps ils sont déçus. Peu écrivent. Et l'année suivante, si elle revient, à la réouverture, — comme à Nice demain, — il arrive qu'elle retrouve le jeune homme marié et déjà engagé dans l'ornière de sa petite vie, plate et sans aven- tures, de notable habitant. Et elle, toute à sa passion ou à une nouvelle passion, ne prend même pas le temps, lors- que par hasard elle le revoit, de se rappeler ce qui s'est passé entre eux ; et quant à se comparer à la femme qu'il a épousée, une comparaison qui serait certainement flatteuse pour son amour-propre, elle n'y songe même pas : tout cela s'est passé dans cette région de sa vie qu'elle aban- donne avec indifférence à ses camarades, aux bavardages des habilleuses, et aux sentiments des amis et admirateurs. Elle sait bien que c'est surtout leur vanité qui a souffert : cette prétention qu'ils ont tous de vouloir être aimés exclu- sivement et de la posséder tout entière : son temps, ses
�� �