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AMANTS, HEUREUX AMANTS... 527

SOUS le ciel tendre, et ces jolies paysannes qui nous fai- saient la révérence quand nous passions. Que j'étais jeune encore cette année-là, et plus près des sombres années que je n'aurais voulu me l'avouer : songeant encore parfois aux lamentables promenades du jeudi, le long des quais, vers Bercy, sous ces tristes arbres, et cette pointe de l'Ile Saint-Louis ; l'écriteau : Départs pour Charenton ; et les allées du Jardin des Plantes qui blanchissaient si vite nos souliers, et ces grandes foules tristes, et Montrouge, Quelle revanche c'était, Finja, e la mia sposina Inga, et partout devant nos pas les cent mille avenues noires des intermi- nables forêts de sapins. Départs pour Charenton ! Oui, c'était bien la France Heureuse. Je n'aurais plus cette joie aujourd'hui : je suis habitué à la liberté, et je vieillis : vingt-cinq ans, déjà. Enfin, la voici encore une fois près de moi ma jeunesse blonde et blanche et riante, dans cette ville que j'aime et où l'hiver dernier j'ai pensé souvent à elle, pensé à la lui faire voir. Gentil, de s'être écartée de sa route pour venir à moi, et elle n'arrivera à Nice que le jour où commence leur engagement. Ah, pouvoir la décider à passer quelque temps ici avec moi ! Quitter cet hôtel et louer une petite villa, du côté du boulevard des Arceaux, dans ce quartier de calme, de soleil, de cyprès et de bambous, avec l'ombre amusante, sur la chaussée blanche, des deux étages d'arceaux, et ces rues nettes, lim- pides, vues jusqu'au fond, et on ne sait quel bonheur les tient éveillées très tard, mais en silence. Quel bon hiver nous passerions, bien seuls, dans cette ville où personne ne l'a jamais vue et où je ne connais que des monuments et des arbres. Lui montrer les micocouliers de l'allée Cusson et le liquidambar du Jardin Planchon. Elle aussi aurait plaisir à s'adapter, à sentir sa vie limitée, pendant quelques mois, aux ressources et aux amusements d'une ville de soixante à quatre-vingt mille habitants. Le côté dînette, ferme de Trianon, d'une aventure comme celle-là. Oui, on se sent un peu parti à l'aventure, un peu Ipin,

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