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49^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

apprendre à nous mépriser nous-mêmes, et à rechercher une paix bienheureuse dans le Nirvana?

BERNARD GRŒTHUYSEN

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ALEXANDRE BLOCK.

La pensée russe, la poésie russe viennent d'éprouver une perte immense : Alexandre Block est mort, mort du scorbut, consé- quence d'une nourriture insuffisante. Il n'avait que trente-neui ans. Nous avons subi en ces dernières années de telles pertes, en vies humaines, en richesses intellectuelles et matérielles, que nous devrions être parfaitement insensibles et incapables de réagir, semble-t-il. Et pourtant, la dépêche d'Helsingfors annonçant cette mort produisit dans toutes les colonies russes à l'étranger une impression profonde ; la disparition cfu grand poète, qui depuis des mois déjà vivait dans un dénuement atroce, manquant de tout, cette disparition acquérait à nos yeux une signification symbolique ; c'est que Alexandre Block était bien plus pour nous qu'un poète de talent : en lui s'incarnaient, semblait-il, toutes les aspirations de l'âme moderne russe, ardente, tourmentée, croyante, enthousiaste, amère aussi et désenchantée. On l'admirait, mais on Taimait surtout. Beaucoup, pourtant, le supposaient en communion d'idées avec les bolche- vistes, depuis ses poèmes Les Douie, puis Les Scythes, que les cercles communistes accueillirent avec un tel enthou- siasme ; mais on savait qu'en ces derniers temps le poète s'était dressé contre les maîtres actuels de la Russie, que ses dernières œuvres n'avaient pu paraître, que la misère dont il souiïrait n'avait été que la conséquence de son opposition courageuse.

Alexandre Block débuta en 1905 par un recueil : Vers à la Dame de Beauté qui attira immédiatement l'attention des criti- ques et du public lettré. Il s'y montrait l'élève des symbolistes russes de la première génération : Balmont, Brioussoff qui eux- mêmes, comme on sait, avaient subi l'action des symbolistes et décadents français : Baudelaire, Verlaine, Mallarmé. L'influence de TiouttchefF et de Vladimir Solovieff s'y faisait également sentir. Le mysticisme de ce dernier, surtout, avait exercé une action puissante sur le jeune poète : cette Belle Dame à laquelle il adressait ses oraisons ardentes, qui lui apparaissait en de cour-

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