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492 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

dans le monde ; c'est par son moi fictif qu'il prend connaissance de lui-même. Les poètes d'avant-guerre connaissaient plus ou moins bien cette dualité, qu'ils interprétaient d'ailleurs de diverses manières, et, sans toujours s'en rendre compte, souf- fraient des conflits qu'elle devait faire naître. Mais quand ils allaient à la recherche de l'âme, ils croyaient qu'il suffisait pour la retrouver intacte d'avoir creusé assez profondément et de savoir rentrer en soi-même. L'opposition de l'être et du paraître se réduisait en somme pour eux à une différence de surface et de profondeur. Ils croyaient en l'âme ; ils étaient optimistes d'un optimisme intérieur et qui par bien des côtés rappelle celui de Rousseau.

La foi naïve en l'âme semble diminuer, et je vois que depuis quelque temps on reparle beaucoup de la corruption humaine. A la place d'une âme, principe éternel de toute beauté et de toute vérité, on ne paraît plus vouloir voir qu'une bête méchante et perverse, qu'il faut abattre. Tel semble bien être l'avis de M. Werfel, qui pour se libérer de toute illusion et de tout péché, ne voit d'autre solution que le suicide du moi, et qui, disciple à la fois de Bouddha et de Saint-Augustin, à la vision de la Maïa unit l'idée du péché originel, au pessimisme oriental, le pessimisme chrétien.

J'ai essayé de vous exposer ce qu'on pourrait appeler la méta- physique de M. Werfel, et j'aurais tort de ne pas ajouter aussitôt que les passages qui nous l'interprètent, sont souvent de toute beauté. Et pourtant il faut que je l'avoue, je préfère à la sagesse transcendante des moines, le cynisme de l'homme miroir, qui s'en tient aux apparences de ce monde.

C'est que, tandis que les autres personnages de la pièce sont d'une simplicité toute symbolique, l'homme miroir est un être fort complexe et vivant. Faut-il y voir un indice que parfois il peut y avoir désaccord entre le philosophe et l'artiste, et que du point de vue de l'art ce sont souvent les Mephisto qui finissentpar l'emporter ? Quoiqu'il en soit, le personnage de l'homme miroir est réellement fort intéressant. Tantôt flatteur, tantôt narquois, tantôt votre serviteur, tantôt votre maître, c'est un autre vous- même, c'est votre moi qui, se dilatant et prenant des proportions grotesques, se place devant vous pour vous bercer d'illusions ou aussi, en d'autres occasions, vous faire sentir votre vide. Il me

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