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NOTES 485

écrit un article sur Racine. Yeats, qui habite le même hôtel, dit à Synge : « Quittez Paris ; vous ne créerez jamais rien enlisant Racine... Allez aux îles Aran ; vivez-y comme un des indigènes ; exprimez leur vie, que nul n'a encore exprimée. »

D'où ce livre. Aran est un archipel de trois îles, à l'ouest de l'Is- lande, face au large. Chacun de ces trois rochers, fonds schisteux de ces récits, apparaît sous un pâle soleil, au-dessus des brumes, ou dans la pluie, surtout dans la pluie. Comme Stevenson à Samoa, comme Gauguin, Synge découvre sa personnalité et la fixe au milieu de gens simples, qui font des gestes éternels.

Tout ici se passe hors du temps. Racontée en gaélique, à la lueur d'un feu de tourbe, la légende se place entre des tableaux réalistes : embarquements de porcs, marchés aux chevaux, enterrements, expulsions par huissier. Tout y est dit sans littérature ; cette lecture est reposante comme un congé à la mer. Il y a de visibles tempêtes, avec de sobres drames de pêche, nullement aménagés, comme chez nos auteurs. Au-dessus, de grands ciels bousculés qui prennent presque toute la toile, et font penser à Bonnington.

M. Bazalgette a traduit avec une sincérité et une discrétion où se reconnaît un véritable artiste. Il est indispensable de lire ce livre pour comprendre Synge et son œuvre postérieure.

PAUL MORAND

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LETTRE D'ALLEMAGNE.

Ma première impression en revenant en Allemagne avait été celle d'un chaos, et tout naturellement je cherchais à entrevoir dans ce chaos les contours du monde nouveau qui devait en naître. Or, maintenant je me rends de mieux en mieux compte combien il est difficile d'apprécier une littérature dans des moments de crise. La fermentation des esprits excite les volontés, mais il est rare qu'elle procure les moyens d'exécuter ce qu'on croit devoir se produire. Aussi arrive-t-il souvent que le poète après une période de fièvre, se retrouve devant les mêmes problèmes qu'auparavant, les problèmes de son art, qu'il reconnaît alors ne pas avoir varié au gré des circonstances.

M. Werfel, dont je vous entretiendrai aujourd'hui, est bien sorti du chaos, comme le prouve sa dernière œuvre : le Spiegel-