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468 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

« jambes croisées, leurs chapeaux un peu abaissés sur la veùe », jugent des coups et parlent du vieux temps, temps d'amitié, temps de simplesse, vrai temps de Dieu. Qu'on n'aille pas croire à une bergerie : « Tenant en sa main un petit baston de couidre duquel il frappe ses bottes liées avec courroyes blan- ches », voici maître Anselme, « bon laboureur et assez bon petit notaire pour le plat païs. Et celuy que voyez à costé ayant le poulse passé à la ceinture, à laquelle pend celle grande gibes- sière où sont des lunettes et une paire de vieilles heures, sap- pelle Pasquier, lun des grands gaudisseurs qui soit dicy à la journée dun cheval, et quand je dirois de deux, je crois que ne mentirois point : toutesfois c'est bien celuy de toute la bande qui plus tost ha la main à la bourse pour donner du vin aux bons compaignons. »

Jamais Fénelon, ni Florian, ni Rousseau, ne songeraient à ces particularités qui font tant plaisir. Mais Du Fail n'a point la tête faite de même ; (si dans son épître au lecteur il ébauche un Con- trat Social, rudimentaire sociologie où le bon juge provincial fait un corps de ses observations, c'est un Contrat plus plausible à tout prendre que celui de Jean-Jacques). Ce Breton voit les choses et il sait les faire voir. Il colorie vivement ses pitauds, mais au plus près du naturel. Des érudits ont retrouvé sur la carte et sur le sol tous les lieux dé son livre, comme sur les registres paroissiaux ses personnages. Peu importe. Il suffit d'écouter ces villageois parler des particuliers, des « types », qu'ils ont connus, et faire commémorations de leurs façons d'être et de leurs manies : on sent qu'ici tout est touché sur le vif.

Et quel vieux goût de pays : mieux marqué que chez Rabelais, cela ne se pouvait : plus purement marqué, peut-être.

Donc, non pas une de ces bergeries n'ayant ni sel ni sauge, mais une églogueà la française, où le loup vient très bien pour ces belles filles qui n'en ont point assez peur, une églogue vive, bien troussée, fleurie, pleine de malice et de traits.

Ces bonnes gens, à propos rompus, font des narrés du vieux temps. Ils traitent ainsi les divers points de la vie rustique, les fêtes, les banquets, les farces, le gouvernement des amours, — le joli portrait, celui du frisque galant qui, assis, tambourinant des pieds, sur le cofi"re, « disoit le petit mot à la traverse à Jeanne

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