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NOTES - 459

du langage ne sont que les conséquences parfois immédiates et directes, le plus souvent médiates et indirectes » (p. 17).

Le langage en effet est une institution, la plus nécessaire, la' plus générale et en même temps la plus proche d'une fonction physiologique. L'envisager sous cet angle, c'est en renouveler l'étude. Dans le chapitre Comment les mots changent de sens (qui a paru d'abord dans V Année Sociologique), il est montré que les sens des mots sont liés au milieu social étroit qui les emploie ; s'ils changent, c'est que les milieux sociaux les empruntent, dans certaines conditions, les uns aux autres ; emprunts inévitables, car chaque individu fait partie à la fois de plusieurs groupes sociaux : les mots dépaysés s'attachent au nouveau milieu en prenant une nouvelle valeur. La sémantique cesse ainsi de dépendre uniquement de l'analyse des mouve- ments psychologiques de l'individu. Un mot, même né d'une fantaisie individuelle, ne garde vie que si l'ambiance sociale le permet : ainsi le surnom pittoresque de « mangeur de miel » n'est devenu, en certains endroits, le seul nom de l'ours que parce que les règles magiques de la chasse interdisaient de l'appe- ler par son nom vulgaire (p. 284).

Les recherches originales de M. Meillet sur la « linguistique sociale » n'intéressent pas que la linguistique : le reste de la sociologie souffre d'avoir à faire à des institutions souvent peu organiques, représentées dans un trop petit nombre de groupes sociaux, trop différentes suivant les états de civilisation, au point que la définition du fait social si justement établie par Durkheim est encqre contestée par de bons esprits. La « lin- guistique sociale » est le modèle d'une partie bien constituée de la sociologie.

M. Meillet, dans son avertissement, exprime le souhait que des pédagogues (le Maître de philosophie !) trouvent dans son livre « le moyen de rendre parfois plus vivant et plus moderne l'enseignement de la langue ». Les honnêtes gens aussi, ceux du moins qui veulent bien penser que les sciences de l'homme sont de nos jours les émules non indignes des sciences exactes, donneront une place sur un rayon de leur bibliothèque, à côté de Science et hypothèse de Poincaré et des Atomes de Perrin, à la Linguistique historique et linguistique générale de Meillet.

MARCEL COHEN

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